Le sentiment de sécurité en expatriation

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Le sentiment de sécurité n’obéit pas à des critères absolus. Ne nous est-il pas arrivé de nous sentir en sécurité dans une situation potentiellement dangereuse, et inversement, de nous sentir en insécurité dans un environnement relativement paisible ? En réalité, deux vérités s’affrontent, ou se renforcent : la réalité extérieure induit un sentiment d’insécurité quand elle entre en résonnance avec un état intérieur.

L’observation des jeunes enfants nous apprend beaucoup sur le sentiment de sécurité. L’enfant construit sa base de sécurité grâce à l’amour inconditionnel et à la prévisibilité. L’inconditionnalité du lien d’amour permet la mise en place d’un attachement sécure, condition indispensable pour que l’enfant se détache et explore le monde. Pour nous lancer dans l’inconnu, nous avons besoin d’une base de référence aimante, contenante, et rassurante. Dans son élan d’exploration, l’enfant a besoin de prévisibilité : comprendre la réaction des autres, savoir ce que l’on attend de lui, prévoir ce qui va arriver, avoir confiance dans ce que les autres comprennent de son comportement. Pour faire face à l’inconnu, nous avons besoin d’une base de références connues.

L’expatriation ébranle notre système de références et nous met en état de vulnérabilité, quels que soient le pays et sa situation politique. Pendant les premiers mois, nous traversons une période normale d’inconfort : le choc culturel. Nous vivons alors la perte de nos repères et de nos soutiens, la perte de notre compréhension et d’une partie de nos compétences, et le stress de devoir faire face simultanément à de nombreuses situations nouvelles. S’ensuit un sentiment d’insécurité intérieure, normal et passager.

Lorsque ce sentiment intérieur fait écho à une réalité extérieure dangereuse, une synergie s’opère et amplifie la perception d’insécurité. La peur entretient la peur. Elle nous fait réagir, et court-circuite la pensée. La peur, et la peur de la peur, altèrent notre discernement et amoindrissent notre capacité à agir en conscience. Les messages qui circulent dans les communautés expatriées reprennent et renforcent ces peurs. Certaines sociétés de sécurité vivent même de ces peurs et les entretiennent. Dans une atmosphère qui parfois tourne à l’obsession, comment garder un discernement face à une réalité, dangereuse ou pas, et préserver le sentiment de sécurité intérieure ?

La peur est inévitable dans un environnement inconnu. La nier ou la cacher lui donne du pouvoir. Exprimer, valider, donner un sens à la peur sont autant de démarches qui lui donnent la parole et l’empêchent de nous envahir. La peur se cache parfois derrière l’expression de la colère, qui alors fait fonction de soupape. Les enfants aiment à dire : « La colère est l’amie de la peur. Ça fait trop peur la peur ! ». La reconnaissance et l’acceptation apaisent la peur, et laissent de la place au discernement

C’est dans l’être ensemble dans une atmosphère de confiance, que nous forgeons notre sentiment de sécurité. Nous, expatriés, avons besoin d’un lieu de ressourcement. Nous connaissons ce soulagement quand la famille est enfin « installée » dans le nouveau pays. La maison est habitée par des « objets sacrés » qui nous ont suivi poste après poste et qui racontent notre histoire. Les rituels spécifiques à notre famille consolident les liens, et le sentiment d’appartenance, de contenance, et de sécurité.

L’imagination a le pouvoir d’amplifier la peur, et les scénarios créés par les peurs anticipatoires s’avèrent souvent bien pires que la réalité. Nous avons besoin de mettre en perspective ces pensées négatives dans un contexte objectif. Il est alors nécessaire de se tourner vers une personne qui connait réellement la situation, et qui peut en parler de manière factuelle, juste et neutre émotionnellement. Le défi est de devenir capable de discerner le réel de l’imaginaire en nous, et le vrai du faux parmi les informations qui nous parviennent.

Lorsque le pays présente de réels dangers, comment être prêt à faire face, sans être en permanence en alerte ? Trouver la bonne source d’information (les nouveaux arrivants sont parfois assaillis d’informations peu rassurantes), permet d’établir les règles de base de sécurité, et de les intégrer comme des habitudes et non comme des contraintes. Les routines libèrent de la peur. D’autre part, plus nous connaissons la culture du pays, plus nous pouvons comprendre et anticiper les actions et réactions des gens. Ainsi, rencontrer les habitants du pays et ne pas rester exclusivement entre expatriés, contribue à construire notre sentiment de sécurité.

 L’imprévisible et le non contrôlable font partie de la vie des expatriés. Mais parfois, le choc est violent et laisse des séquelles, qui peuvent se transformer en traumatisme si la personne n’est pas accompagnée. Le message de danger reste alors bloqué dans le corps et le psychisme ; il tourne en boucle et paralyse. La prévention du choc post-traumatique passe par la remise en circulation de l’énergie physique et psychique : décharger son corps de la tension grâce au mouvement, et libérer l’esprit grâce à la parole, puis retrouver un sentiment de sécurité intérieure. Par ailleurs, de nombreuses personnes se taisent de peur de ne pas être crues. Les groupes d’expatriés, tels Expats Parents, prennent alors tout leur sens ; nous pouvons y parler de ce que nous avons vécu en poste. Nous y serons compris et crus.

Nous ne pouvons pas nous préparer à toute situation de violence. Nous pouvons prendre soin de notre sentiment de sécurité intérieure ; nous pouvons apprendre à avoir une écoute de nous-même juste et bienveillante, et à cultiver notre discernement.


Article écrit pour l'AFCA MAE par Marine de Labriolle, Psychopraticienne en Psychosynthèse, Accompagnatrice parentale

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