Le célibat géographique, un mode d’être en couple qui se prépare.

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Terme énigmatique pour le public français, le célibat géographique est une réalité qui se pose presque inévitablement à un moment de la vie d’expatrié. « Ma vie de couple à cheval entre deux continents ? Jamais !! », disais-je il y a quelques années… puis la vie m’a « naturellement » menée à ce choix. Devant les questions de scolarité, de carrière personnelle, de sécurité et des parents vieillissants, la réponse était unique, évidente mais difficile.

Le célibat géographique est une séparation temporaire, décidée mais non choisie, qui concerne tous les couples, quel que soit leur âge. Personne n’est à l’abri d’un retournement de situation, de la maladie d’un enfant, d’un handicap scolaire, d’un impératif familial ou professionnel. Il est parfois une épreuve, souvent ressenti comme subi, toujours difficile à vivre pour le couple et la famille. Il est un nouveau mode d’être à deux, et demande au couple de se réinventer.

L’expatriation est déjà une mise à l’épreuve pour le couple qui perd alors ses soutiens et ses repères habituels. Lorsque le changement de poste pousse les conjoints à se séparer temporairement, l’étayage interne du couple est ébranlé. La séparation met à nu la relation. Que reste-t-il des actes, des gestes et des échanges du quotidien ? Comment se vit l’intimité ? Que devient chacun dans sa solitude, sans son identification à l’autre et au couple ? Il est urgent de faire face à ces questions, avant la séparation, pour comprendre les enjeux et mettre en place, dès à présent, une nouvelle communication et un nouveau regard sur soi-même.


La solitude peut être profonde ; on ne partage plus la même réalité et la communication se croise.

Le célibat géographique génère de la solitude. En début de poste, chacun vit des responsabilités professionnelles et familiales nouvelles. Chacun fait face à l’installation, à l’adaptation et aux problèmes posés par les différences culturelles ou par le retour dans une France qui ne nous reconnaît pas. Chacun est constamment sollicité mais n’a plus le soulagement de pouvoir partager responsabilités, questions et doutes. Puis chacun se raconte, mais s’écoute-t-on vraiment ?

Nous ne sommes pas séparés et pourtant…

Les soirées s’allongent. Le désir des corps reste lettre morte. Les rencontres sur « Skype » consolent, mais rendent l’absence encore plus aigüe quand l’écran s’éteint. Inconsciemment, on espère l’absent, on se surprend à lui parler, on peut jusqu’à sentir sa chaleur. On ne se sépare pas si aisément d’une personne qui a longtemps partagé sa vie. Il n’y a pas de séparation puisque le couple persiste. Il n’y a pas de deuil à faire puisqu’il y aura des retrouvailles. Quelle confusion !

Impuissance et culpabilité.

Au quotidien, notre réalité personnelle prime sur celle du couple et sur celle de notre conjoint. Il est difficile d’imaginer, de comprendre et sentir les difficultés de l’autre. Peut-être même s’en défend-on ? Les nôtres sont suffisantes. De plus, nous nous protégeons du sentiment d’impuissance, voire de culpabilité. Cette défense est légitime. L’impuissance vient du fait de ne pouvoir que partiellement aider l’autre, calmer son agitation et son surmenage, effacer sa souffrance. D’autre part, la culpabilité accompagne celui dont la profession a entraîné le couple et la famille dans cette tranche de vie.

Ce qui hier nous liait, une vie commune, aujourd’hui nous sépare. La distance physique et les différences de nos quotidiens créent un espace entre nous. Cet espace est à apprivoiser, à dire, à parcourir. Nous devons maintenir le désir de le franchir. Le désir est un élan qui met en branle toutes les dimensions de la personne. C’est un mouvement global qui crée et maintient le lien. La séparation physique va réorganiser la relation. Elle va remettre en jeu les rôles, les attentes et les pouvoirs de chacun à l’intérieur du couple. Dans le célibat géographique, la relation est en suspension, les conflits sont exacerbés, les non-dits sont enkystés. Il faut la volonté de l’un et de l’autre pour maintenir et recréer le lien sous une forme nouvelle. La responsabilité de chacun est engagée.

Se parler pour s’entendre

En plein tourment, on peut être tenté par deux modes de communication : épargner celui qui est loin ou le charger de tous les maux. Quel expatrié n’a pas entendu cette parole de la part de sa famille : « tu étais loin, on ne t’a rien dit pour ne pas t’inquiéter ! ». En réalité, ce souci de protéger la personne éloignée crée un sentiment d’exclusion et d’impuissance. Je me souviens du cas extrême d’une femme qui avait attendu le retour définitif en France de son mari pour lui annoncer la tentative de suicide de son fils ! Même loin, le père est encore le père, et aucune situation ne légitime de décider pour lui la relation qu’il doit avoir avec ses enfants.

Parfois, celui qui est loin se voit affublé de tous les maux. Sa carrière a entraîné la situation, mais il n’est en rien directement responsable de l’otite du petit dernier, de la fuite du chauffe-eau, des grèves, du patron qui harcèle, des voisins qui ne supportent plus les hurlements de votre ado en crise… Il est urgent de partir ensemble loin de la France et loin du poste, dans un lieu sans enjeu, dans le seul but de se retrouver et de nourrir la relation non plus de reproches, mais d’amour.

Le ressentiment peut tuer la communication. Dans l’amertume, nous utilisons facilement des formules directes, ressenties comme accusatrices par l’autre. Jacques Salomé parle à ce propos du « tu qui tue » ; il propose des expressions centrées sur le « je » et sur le ressenti. Nous pouvons ainsi réapprendre à parler et passer de : « Tu ne m’écoutes jamais ! » (je veux te changer) à : « Je ne me sens pas respecté lorsque je ne suis pas écouté » (je ne veux plus être blessé). La communication se place alors d’elle-même sur le plan du cœur à cœur.

Vivre ensemble et être ensemble sont deux réalités différentes. Lorsque l’on ne vit pas ensemble, la distance étire le lien. On apprend à ne plus se manquer. Les questions qui fâchent ne sont plus abordées. On comble l’absence par d’autres présences. Pour « être ensemble », il faut nourrir le lien par de l’échange. J’ai rencontré des couples qui ont retrouvé lors de leur célibat géographique le plaisir de s’écrire et de ne se dire que les choses nécessaires. Prendre le temps de s’arrêter et de retrouver une intimité avec l’absent, à travers un dialogue épistolaire.

S’entendre avec soi-même pour s’entendre avec l’autre.

Dans la solitude, nous nous trouvons facilement pressurés et stressés - je pense plus spécialement au conjoint qui reste avec les enfants et qui se retrouve à tout gérer. La présence et le partage avec notre conjoint nous apportait équilibre, soulagement et plaisir. Avec l’éloignement, le soutien devient insuffisant ; il nous faut donc trouver d’autres supports auprès de l’entourage, trouver des personnes qui comprennent réellement notre situation. L’aide viendra si nous osons et savons la demander ; or pour beaucoup d’entre nous, solliciter une écoute ou de l’aide est une démarche inhabituelle. Dans le même ordre d’idée ; nous ne devons pas rester repliés sur nous-mêmes et sur nos difficultés : sortir, prendre soin de soi, se changer les idées avec d’autres ou apprendre à le faire seul. Attention aussi au danger de sortir entre célibataires, divorcés ou veufs ! Nous avons besoin de rencontrer des personnes de l’autre sexe et des couples, comme lorsque nous sommes deux.

Seuls, nous sommes notre premier soutien. Nous nous devons de bien nous préserver ; c’est notre devoir envers notre couple et notre famille. Reconnaître nos difficultés et nos besoins, accepter notre vulnérabilité (personne ne nous demande d’être superman ou superwoman !), tel est le chemin de la sagesse. Il ne s’agit pas de se lamenter sur son sort, mais de vivre pleinement ce temps de solitude et d’accepter le face à face avec soi-même. Notre identité est ébranlée ; nous devons rajouter une pièce à notre puzzle. Si dans notre vie de couple, nous avions mis de côté notre jardin secret, il est grand temps de le cultiver. Le couple n’en sortira que plus fort ; en effet deux individualités fortes ne peuvent que s’enrichir l’une l’autre. Le couple peut alors passer de la fusion narcissique à la maturité créatrice.

Il faut savoir mettre du silence dans notre écoute.

Pour bien écouter, il faut d’abord se taire. Le silence n’est pas de l’indifférence mais une mise en disponibilité de soi envers l’autre. Un silence attentif permet à l’autre de se sentir écouté et l’invite à parler de lui et de ses difficultés. Ainsi la personne écoutée sent que sa souffrance peut être dite ; celle-ci devient alors légitime. Nous sommes souvent prompts à vouloir agir là où seule l’écoute est nécessaire. Le silence permet le partage et recrée le couple. Dans un cœur à cœur, sans action et sans conseil, les retrouvailles sont possibles. L’écoute donne une nouvelle respiration au couple. Ce mode de communication est essentiel et est à mettre en place bien avant la séparation.

 
Le célibat géographique est une prise de risque.

Risque de devoir changer son mode de communication. Risque de devoir demander de l’aide face à un quotidien compliqué. Risque de voir la dynamique du couple changer et les jeux de pouvoirs se redistribuer, ou se dissoudre. Risque de la prise d’indépendance et de la confiance. Risque de devoir devenir quelqu’un en dehors du couple et du statut de conjoint. Risque de se retrouver l’un l’autre après ces années de célibat... Accepter le risque, c’est créer l’opportunité. Le couple est un espace en perpétuelle création, à l’intérieur duquel chacun se crée.

 

Article écrit pour l'AFCA MAE, par Marine de Labriolle, Psychopraticienne en Psychosynthèse, Accompagnatrice parentale
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