On vous pose la question, curieux et pas toujours bien intentionné : « aloooors, ça fait quoi d’être rentré ? » Je suis rentrée il y a six mois ... Voici ma copie.
Tout d’abord, on ne rentre pas. On part. Les gens voient l’arrivée, quand nous vivons un départ. Nous, on voit les adieux, la rupture, la fin avant de voir le renouveau. On ne rentre pas, on quitte un lieu qui nous a accueilli, qui nous a vu changer, grandir. On met fin à un voyage physique et métaphysique, à une expérience qui nous a bouleversé. On renonce à des routines qu’on avait instaurées, à de nouvelles habitudes qui nous avaient réconfortés. On laisse derrière soi des gens qu’on aime et qui nous ont aimés, des amis, des collègues, des voisins, des maîtresses : toutes ces personnes qui nous ont fait une place. Et on laisse un vide qu’on emporte dans notre cœur au moment de « rentrer ».
Leur vie va continuer, sans nous. Nos souvenirs sont avec eux, et on sait qu’on ne les revivra jamais. Partir et quitter un nouveau chez-nous bouleverse au moins autant que le premier départ : c’est toujours des adieux. On aimerait laisser une part de nous un peu partout et ne renoncer à rien, ni à l’ailleurs, ni à chez soi.
Et puis, on ne rentre pas. Pas vraiment. A chaque départ on laisse une part de nous, comme une peau, et on se retrouve à nu, et on s’aperçoit qu’ailleurs, on s’est révélé. On est devenu un peu plus soi, débarrassé des étiquettes, de notre histoire. On est un peu nouveau, « Je est un autre » : il n’y a pas de « retour » mais une nouvelle arrivée.
D’ailleurs, on ne rentre pas. Les lieux ont changé aussi. Il s’est passé des choses quand on n’était pas là. Au fil des conversations on s’aperçoit qu’on a manqué des événements, des lois, des chanteurs, et tout un tas de petits détails qui font dire à l’autre : « ah oui, c’est vrai, tu ne sais pas ».
Car on ne rentre pas. On débarque. On n’est pas attendu, et notre nouveau point de vue par toujours bienvenu. On dérange un peu aussi car on traîne avec nous le mirage de l’expat doré, et un miroir pour celui qui nous voit et se dit qu’il serait bien parti, lui aussi...
Ce que les gens ne savent pas, c’est qu’on vivait dans une bulle qu’on s’était créée, un monde rien qu’à nous : on avait resserré les liens, on flottait dans des émotions communes et qui nous décontenançaient autant qu’elles nous rapprochaient.
Ce que les gens ne savent pas, c’est qu’on n’est pas « rentrés » : on a fait exploser la bulle dans laquelle on était, et si les autres sont heureux de nous voir de plus près, pour nous, l’explosion a fait un bruit assourdissant et on s’est senti dégringoler, et tous les membres de la famille ne tombent pas forcément au même endroit. Il faut à chacun son temps pour se remettre de ses émotions, de ces départs, des arrivées, de ce voyage longue durée. Comme des marins au long cours, on a parfois le mal de terre.
Non, on ne rentre jamais, on repart toujours. Mais cette fois-ci, en terrain connu.
Ecrit pour Expats Parents par Emilie Proust, professeur de français.
Son blog : https://madeleineetcupoftea.com/
A lire, du même auteur : "Le blues de l'expat", "Ceux qui sont restés", "Super maman expat", "Abécédaire des idées reçues sur l'expatriation", "Tour du monde des écoles", "Expatriation à durée indéterminée"