Photo : Chris Porret
Ils ont quitté la France un jour, pensant y revenir bientôt. Ils s’imaginaient que leur vie dans ce nouveau pays serait une parenthèse... Mais la vie est pleine de surprises, et aujourd’hui ils nous expliquent pourquoi ils ne sont pas rentrés.
Curieuse de comprendre ce qui peut conduire des « expatriés » à changer justement de patrie, à s’installer loin des leurs sans songer au retour, dans un pays où ils n’ont aucune attache particulière – pas d’origine, pas de famille...-, j’ai mené ma petite enquête auprès d’Anne, Coralie et Gilles qui ont eu l’extrême gentillesse de répondre à toutes mes questions. Voici ce qu’ils m’ont appris.
On ne choisit pas forcément le pays où on pose ses valises.
Anne est arrivée il y a huit ans à Stockholm, par hasard, au gré d’une opportunité professionnelle. Elle et son mari voulaient vivre l’aventure de l’expatriation, peu importe le pays. Ce hasard les a aidés : « Nous n’avions aucun a priori sur la destination, ni en bien, ni en mal, pas d’attentes ou de fantasmes sur le pays dans lequel nous arrivions. Tout était découverte. »
Gilles a quant à lui pris l’avion pour les USA pour des raisons professionnelles il y a déjà vingt ans. Mais comme pour Anne, l’expatriation devait être de courte durée.
Ni rêve du pays, ni désir de s’y installer définitivement : le goût de l’aventure, d’une forme de nomadisme ont conduit Anne et Gilles à accepter d’aller vivre dans un pays dont ils ne savaient finalement pas grand chose.
La situation professionnelle n’est pas toujours un motif d’installation.
C’est un choix de cœur que Coralie et son conjoint ont fait il y a cinq ans. Après avoir tenté de s’installer en Italie, ils ont renoncé à rentrer en France ou en Angleterre (pays de Monsieur), et ont fait le choix de l’Espagne pour vivre leur aventure : « nous sommes déjà dans un contexte multiculturel et nous ne voulons pas y renoncer. (...) Nous avons choisi Valence pour des raisons romantiques. » Pour eux, s’installer dans ce lieu chargé d’histoire personnelle, c’est pérenniser leur amour.
Mais la stabilité économique et professionnelle reste très importante. On ne vit pas d’amour et d’eau fraîche : ni dans son pays d’origine, ni dans celui où on s’expatrie. Coralie a ainsi dû « faire le deuil » d’un futur qu’elle croyait « tout tracé (...) dans la Città Eterna » qu’elle a quittée pour des « raisons économiques ». Aujourd’hui, elle considère son installation en Espagne réussie car elle y a atteint un équilibre familial et professionnel qui lui est indispensable à une vie stable dans son nouveau pays.
De la même manière, Gilles reconnaît volontiers que « les perspectives de prospérité sont devenues évidentes » aux USA, et pour Anne « la stabilité a été essentielle » car c’est finalement elle qui permet de réaliser d’autres projets : grâce à cette situation rassurante trouvée en Suède, Anne et sa famille sont parvenus à faire un tour du monde !
Les premiers mois donnent le LA.
Si on ne s’installe pas dans un pays dont on était déjà amoureux, comme souvent, le premier RDV donne le ton. Pour Anne, « tout s’est mis en place très rapidement » : travail, vie sociale, logement. Gilles a été accompagné à l’arrivée par sa société, et si les premiers mois n’ont pas été faciles sur un plan culturel et psychologique, le confort à l’installation a tout de même beaucoup compté pour le couple. Anne insiste : « Je recommande vivement la prise de contact pré-déménagement, via les réseaux sociaux : on y crée des liens avant d’arriver, ce qui permet d’avoir déjà un pied dans la destination et surtout d’éviter les pièges du débutant consistant à croire naïvement que tout va bien se passer. » Car même quand on est préparé, les premiers mois sont toujours épuisants.
On adopte un mode de vie qui nous correspond mieux.
C’est une chose étrange qu’on puisse se sentir mieux dans une culture qui n’est pas la sienne. On grandit quelque part, on a ses racines, ses repères : pourtant, on vit davantage en accord avec ses valeurs en étant ailleurs. Et se crée alors un attachement sincère pour une culture qui certes n’est pas la nôtre, mais dans laquelle pour autant on se reconnaît bien. C’est ce qu’explique Anne. Sans avoir tout à fait conquis son cœur, la Suède est cependant devenue un pays où elle et sa famille se sentent bien, « et plus ça va, plus on devient suédois » : « l’état d’esprit de la société suédoise nous correspond sur beaucoup de points, notamment sur l’éducation. (...) La vie familiale avec de jeunes enfants est grandement facilitée, l’équilibre vie familiale / vie professionnelle est privilégiée, la qualité de vie est bonne. »
« Depuis quatre ans, nous vivons au rythme du flamenco et des tapas, explique Coralie (...) Nous avons une qualité de vie exceptionnelle entre mer et montagne ». Et puis à Grenade où elle est désormais installée, « tant de cultures se mêlent, nous pouvons vivre pleinement notre multiculturalisme ! »
Anne poursuit : « Comme partout, il y a du bon et du moins bon... On temporise avec sa propre culture, en ne gardant des deux que le meilleur. » Avec le temps, Gilles se sent même devenu un peu étranger à son pays d’origine : « Je ressens ce sentiment à imaginer ce qu’un retour possible serait. Je pense qu’il serait nécessaire de considérer une phase d’intégration. » C’est d’autant plus fort que ses enfants ont leurs attaches aux USA, qu’ils n’ont jamais vécu en France...
Les parents s’installent en effet aussi car les enfants font leur ce nouveau pays. Et comme pour tous, le bien-être des enfants est déterminant. Après leur tour du monde, les enfants d’Anne ont demandé à retourner en Suède où ils ont leurs repères : « la vie en France, c’est juste pour les vacances ! ». Cette inscription forte des enfants dans leur culture d’adoption peut être plus difficile néanmoins pour les parents, qui se questionnent eux beaucoup sur les choix de scolarité.
Il ne faut jamais dire jamais !
« Le choix de rester ne se prend pas d’un seul coup, c’est un lent cheminement et cela prend du temps avant de s’imposer, quelles qu’en soient les raisons. La famille s’y attend, elle voit bien que notre vie se construit autour de cette envie d’ailleurs, puis ensuite dans cet autre pays » (Anne).
La première expérience – douloureuse mais riche d’enseignements- de Coralie et sa famille montre bien que ce n’est pas prévoir de s’installer qui rend l’expatriation réussie : cela reste toujours une aventure, grâce à laquelle on se réinvente, mais qui comme toute aventure, comporte une part de risque.
On n’oublie jamais d’où on vient, et même si on veut dire « je ne reviendrai jamais sur mon choix », on n’est jamais sûr de rien. Anne explique : « malgré tout, il n’a jamais été question de prendre une décision ferme et définitive, tout peut encore changer, rien n’est gravé dans le marbre ». Gilles, même après vingt ans, ne peut se prononcer encore sur un « choix géographique pour la retraite » par exemple.
La culpabilité « est un sentiment qui nous poursuit encore à ce jour, et qui me hantera à jamais » écrit-il. C’est pourquoi se rapprocher de ses compatriotes, célébrer ensemble un titre de champion du monde, sont des moments inoubliables pour un Français, même après vingt ans de vie à l’américaine. « L’aspect définitif d’une expatriation me laisse pensif ».
Qu’est-ce qu’une installation réussie ?
La réponse n’est pas évidente, car la question est plus complexe qu’il n’y paraît. Anne, Coralie et Gilles sont bien « installés » là où ils sont, mais ils sont comme des oiseaux : ils peuvent trouver leur nid solide, rassurant, confortable... le vent peut toujours les mener ailleurs, et il faudra alors tout reconstruire. Mais ils sont des oiseaux : ils savent faire leur nid, c’est surtout cela qui compte ! Peu importe le lieu : « Les moments de joie sont internationaux ! » (Anne)
Ecrit pour Expats Parents par Emilie Proust, professeur de français.
Son blog : https://madeleineetcupoftea.com/
A lire, du même auteur : "Le blues de l'expat", "Ceux qui sont restés", "Super maman expat", "Abécédaire des idées reçues sur l'expatriation", "Tour du monde des écoles"