Journal d'une maman expatriée (5)

#expatriation , #enfant , #bilinguisme

9-12 mois : vers l’autonomie retrouvée

Ma vie professionnelle décolle enfin

Je me suis réinventée avec ardeur et entrain depuis que j’ai repris le travail, en acceptant les compromis et les salaires les plus bas. Patience et abnégation (parfois teintées de découragements) finissent par payer. On reconnaît mon travail, mes compétences, nouvelles mais avérées aux dires de mes managers. Le salaire, jusque là ridicule, commence doucement à augmenter et j’aperçois un semblant de profit à l’horizon : je vais enfin pouvoir gagner un peu d’argent une fois les frais de garderie dépensés.

J’ai un projet pour l’été qui me tient à cœur. Bougeotte oblige, je souhaite partir passer la saison d’été en Crète avec Layla, et je n’ai comme unique obsession que de rendre ma nouvelle carrière professionnelle transposable partout où je le souhaite. Graal du saint Graal : le statut de digital nomade ou le télétravail.

J’atteins petit à petit mes objectifs et tout en obtenant des salaires de plus en plus convenables et des missions de plus en plus intéressantes, je vois le projet crétois se rapprocher doucement, mais sûrement. En plus d’offrir à Layla une autre fenêtre sur notre monde divers et passionnant, je vais pouvoir enfiler à nouveau la combinaison de plongée et enseigner quelques cours à mes anciens élèves. Je trépigne.

Et pendant ce temps-là, Layla babille en deux langues…

Et pendant ce temps, Layla continue de développer les habilités propres à son âge, doucement mais sûrement. Le quatre pattes. L’expressivité et les émotions nouvelles. La motricité fine. Et… telle l’enfant de la troisième culture qu’elle est condamnée à devenir (pour son plus grand bien, j’en suis convaincue) : le bilinguisme.

Les premiers babillages arrivent, ils sont teintés de sonorités anglaises et françaises mélangées. Elle prononce un parfaitement nasal Maman et prend son air le plus british pour appeler son Daddy, symbole sinon plus révélateur de ses futures vies et différentes personnalités.

Un bilinguisme qui rencontre parfois quelques réticences sinon oppositions de la part de certains des membres de ma petite communauté rurale du Yorkshire profond. Je m’évertue à ne parler que français à Layla, y compris dans les lieux publics lorsque l’interaction ne concerne qu’elle et moi. Beaucoup se sentent exclus et craignent des médisances dissimulées : symptôme d’un manque de confiance en soi cruel, les Anglais du monde rural ayant peu d’affinité et de connaissances en langues étrangères. Le tout teinté d’un soupçon de repli communautariste et souverain causé par un Brexit qui a remis certains sujets sensibles au goût du jour. Pas évident toujours donc d’assumer la multiculturalité de ma fille par les temps qui courent. Le sourire et la dédramatisation de la situation restent probablement la meilleure réponse au malaise, les Anglais ayant néanmoins cette qualité remarquable de savoir rire d’eux-mêmes.

…tout en oubliant de dormir !

Layla ne dort toujours pas plus de 3h en continu la nuit. Nous avons trouvé notre rythme malgré tout. Le cododo me soulage d’énormément de fatigue, je me rendors avec elle aussitôt qu’elle démarre la tétée et je me rappelle rarement au réveil de combien de fois nous avons dû nous rapprocher elle et moi pour une séance de câlins aromatisés au lait.

Je me couche tard, souvent à cause des permanences au bar où je continue d’assurer quelques heures par semaine, je me réveille tôt, fais rarement la sieste et assure des journées bien denses et remplies, jonglant avec 3 jobs différents. Mon entourage s’inquiète. A les entendre, je ne devrais plus tenir debout, mais je devrais être alitée, sous perfusion, vu le calvaire nocturne que me fait subir ma fille la nuit.

Difficile de faire entendre aux proches, qu’ils soient Anglais ou Français, que le rythme de sommeil pour le moins découpé de Layla n’impacte pas pour autant ma vie ni mon efficacité. Le sommeil est une angoisse universelle que l’être humain se plait à partager. Et c’est cette lancinante et épuisante interrogation inquisitrice de mes proches ou moins proches sur les rythmes de sommeil de ma fille qui finissent par me fatiguer plus que tout.
Je me refuse à mentir cependant (c’est une option qui me sauverait de bien des discussions), d’autant plus depuis que j’ai lu une enquête du Telegraph datant de 2006 mais certainement encore d’actualité racontant que plus d’un tiers des Anglais mentent lorsqu’ils sont interrogés sur les cycles de sommeil de leur bébé. Un tabou national, un secret de polichinelle. Je me fais un honneur, sous couvert d’un militantisme à peine dissimulé, d’assumer haut et fort les rythmes de sommeil « ratés » de ma fille. Les enfants ne se ressemblent pas et les étapes de développement sont propres à chacun ou chacune, je combats les esprits standardisés.

A l’aube de la première année, retour aux racines françaises

Layla a 11 mois quand la famille française (grand-mère, oncle et tante avec leur partenaires) vient nous rendre visite pour Noël, le temps d’un court mais intense séjour. La maison, habituellement so british, prend des accents français. Odeur de la tartiflette cuisant au four, vin rouge coulant à flot, réveillon de Noel à la française, jeux de société et noms d’oiseaux affectueux envolés dans l’atmosphère.

C’est la première introduction de Layla à ses origines françaises, un avant-goût du périple à venir en terre parisienne et angevine à l’aube de ses un an. Mi-janvier, nous prenons l’avion pour Paris où je vais présenter Layla à une grande partie de ma famille paternelle et de quelques amis restés proches depuis de nombreuses années. Les journées sont incroyablement intenses : de nouvelles têtes, de nouveaux appartement et lieux publics à explorer, le tumulte de la capitale, si vivant et bouillonnant comparé à notre campagne paisible du Yorkshire, des trains, des avions, des bus, des voitures… Layla ne perd pas une miette. Les siestes se font rares. Les soirées sont délicates à gérer tant la fatigue accumulée et l’excitation un peu plus grande chaque jour ont du mal à se dissiper au moment du coucher. Mais c’est un mal pour un bien, une étape incontournable dans sa future vie d’enfant de la troisième culture : en filigrane de ce périple, je souhaite qu’elle continue de cueillir les émotions qui font ses origines et de travailler à son adaptabilité et sa sociabilité.

Le voyage est également ponctué de quelques rituels que je n’aurais - pour rien au monde - oubliés, malgré les intempéries persistantes du mois de janvier parisien : Beaubourg et les fontaines de Nikki de St Phalle, le parvis de la Tour Eiffel, le musée d’Orsay, ces lieux qui ont fait les souvenirs de ma propre enfance, partagée entre la capitale française et la douceur angevine. Nous sommes aguerries et équipées pour la pluie, la poussette tout-terrain souvent trop large pour les portes du métro ou du RER, arpente les couloirs sous-terrains de la ville de fond en comble et une main volontaire se signale toujours quand il s’agit de gravir une montagne d’escaliers.

Nous rentrons en Angleterre « repues » de France. La valise pleine de fromages de montagne, de jeux et livres made in France, et les caboches pleines de souvenirs odorants, visuels, auditifs et sentimentaux. En attendant les prochaines aventures !


Ecrit pour Expats Parents par Lisa Fras, traductrice free lance et blogueuse pour Courrier Expat
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Si vous avez raté le premier épisode, il est ici : "De la grossesse à la parentalité, entre expérimentations et découvertes"
voici le second épisode : 
"Premier trimestre de vie : atterrissage et prises de contact"
le troisième : 
"les 3 à 6 mois : premier voyage et rencontre avec la mer"
le quatrième :
"Les 6-9 mois ou le retour à la réalité"