Journal d'une maman expatriée en Angleterre

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De la grossesse à la parentalité, entre expérimentations et découvertes 


Premier trimestre : Brexit et marasme hormonal

Coïncidence du calendrier, alors que je surfe sur l’euphorie de la révélation de la grossesse depuis début juin, le glas sonne le 24 du même mois. 

Contre toute attente, le Brexit est voté à la majorité. Les Anglais, tout du moins une grande partie d’entre eux, ne veulent plus être européens. Consciente que j’encourais un risque en m’installant sur l’île britannique alors qu’elle s’apprêtait à voter la possible sortie de l’union européenne, je me raisonnais jusque là en me disant que le bon sens reprendrait le dessus une fois dans les urnes. 

Ainsi soit-il. Avec son lot de conséquences potentielles sur la qualité de vie et plus particulièrement, les obstacles qui seront posés aux familles binationales comme la mienne, le Brexit voté réveille un certain nombre d’incertitudes plus ou moins rationnelles alors que mon équilibre hormonal est déjà particulièrement mis à mal. 

Il est une règle dont on ne parle que peu, quasi impondérable quand on est expatrié et qu’un évènement politique majeur arrive dans son pays d’accueil ; qu’il faut respecter : la discrétion. La légitimité de la contestation revient toujours dans ces moments là aux « nationaux ». En l’occurrence, ceux qui ont le passeport avec les armoiries royales britanniques. De fait, le droit sousjacent pour se révolter de ce qui semble injuste et concerne pourtant le plus grand nombre n’appartient pas aux « accueillis », de passage ou permanents. 

Discrétion donc, et observation seront les deux maîtres mots de mon premier trimestre de grossesse. Je crois à un mauvais rêve, j’espère que le referendum va être reconduit, les sondages montrant que près de 10% des Anglais ont voté le Brexit mais voterait contre si on leur proposait un deuxième essai. L’espoir est vain. Le flegme britannique n’est pas un mythe, malgré le tsunami politique que l’annonce du Brexit a produit à l’international, le processus sera engagé, et le vote démocratique respecté, coûte que coûte. 


Deuxième trimestre : apaisement et cogitation 

Il faut se recentrer sur la vie de famille et les perspectives. Les nausées du Brexit et de la grossesse sont passées, je retrouve un brin de forme physique et de tonicité, et je décide de ranger mes amertumes politiques au placard. Il y a un petit être qui se développe en moi et je veux que la petite chose en devenir baigne dans un liquide amniotique plein de fluides positifs. 

C’est le moment où le ventre apparaît et la réalisation de la future parentalité se concrétise. Il faut commencer à se projeter, doucement, dans l’avenir proche et évoquer en couple les différentes options éducationnelles. 

La binationalité de l’enfant vient s’ajouter à un déjà vaste panel de sujets classiques à aborder : allaitement ou lait artificiel, jouets éducatifs, futures gardes de l’enfant, reprise du travail après le congé maternité, projets de voyages adaptés pour un nouveau-né. Saupoudrez le tout de la question des démarches administratives pour l’obtention de la double nationalité, les futures ponts et connexions à établir avec les deux familles séparées par des milliers de kilomètres, le bilinguisme, le choix du prénom « transposable » dans les deux cultures, etc. et vous aurez des soirées bien occupées à débattre de toutes ces problématiques. 

Je découvre le système de suivi maternité anglais. Je suis non seulement une primipare qui s’essaie aux joies de la grossesse, mais je le vis en plus dans une autre langue et sous une autre forme que celle que j’avais imprimée lors des deux maternités de ma mère alors qu’elle attendait mon frère et ma sœur. 

Ici, très peu de visites à l’hôpital, encore moins si votre grossesse se passe sans encombres. C’est la sage-femme l’élément central de votre suivi. Elle devient très vite un référent, un guide, un mentor. La mienne, enjouée et très entreprenante me conseille au vu de mon passif d’instructrice de plongée et mon tempérament, d’opter pour un accouchement à la maison, en piscine. L’idée me séduit, je m’en remets à son professionnalisme et sa conviction que c’est le meilleur choix, flattée qu’elle m’ait imaginée capable de donner naissance à mon premier enfant sans péridurale (impossible à administrer à domicile) et dans l’eau, mon élément favori. 

Je suis arrivée en Angleterre il n’y a que peu de temps, mon partenaire est absorbé par son emploi dans la construction civile, je m’interdis de consulter les sites pédiatriques français pour ne pas tomber dans le travers de la comparaison malheureuse et improductive. In Rome, do what Romans do (à Rome, fais ce que les Romains font) : c’est mon adage.

Troisième trimestre : techniques de respiration et forceps 

Je m’arrondis. L’hiver approche. Les trajets quotidiens pour me rendre au restaurant de York où je travaille comme serveuse, vélo et bus, commencent à me fatiguer. Les longues heures en station debout à porter les couverts viennent à bout de mes articulations. 

Je me suis inscrite à la salle de sports depuis le premier trimestre, et, malgré les conventions sociales locales qui préconisent un repos physique pour la femme enceinte, je me noie dans les activités en tous genres. Natation, Yoga, Cyclisme sur vélo d’intérieur. 

J’observe la population locale, que je découvre en même temps que je vis les émois de ma première grossesse. Je ne suis pas seulement une étrangère dans ce petit monde rural aux accents traditionnels, je suis également une extra-terrestre qui se lance à corps perdu dans le sport au fur à mesure qu’elle grossit. 

Je vis la préparation de mon accouchement comme celle d’un match de boxe. Je veux être en forme physiquement et moralement. J’ai réussi à dépasser l’abattement du Brexit, je me sors tout juste de la phase de ‘’rejet’’ de l’expatriation, celle qui requiert de faire le deuil du pays idéal. Bientôt, je rendrai mon tablier au restaurant et pourrai me reposer dans mon petit coin de campagne en attendant que la petite chose frappe à la porte pour sortir. 

Je continue de croire en mon projet d’accouchement à la maison. C’est une directive gouvernementale qui a pour but de faire des économies sur les frais hospitaliers des accouchements traditionnels. La NHS (National Health System, équivalent de la Sécu française) est mise à mal par de nombreuses coupes de personnel et budgétaires depuis quelques années et les ficelles sont tirées de toute part. 

Le 5 février, Layla décide de donner les premiers signes de sa volonté d’engager la sortie. La piscine est prête. L’équipe franco-britannique des futures grands-mères est réunie à la maison, les bougies et huiles essentielles diffusent leur parfum agréable. Il est 14h quand les premières contractions de travail se manifestent. 

La première équipe de sages femmes arrive à 23h. Mon col est déjà dilaté à 7 sur 10. Je viens de passer 9h dans une eau réchauffée constamment à 38°, au son de ma playlist musicale préférée, accoudée sur le rebord et concentrée sur ma technique de respiration.

8h du matin, on vient de me percer la poche des eaux. Je suis épuisée. Les contractions s’enchaînent toutes les trois minutes depuis maintenant 18h. Je commence à perdre le contrôle de mes émotions et réclame une ambulance, ainsi qu’une césarienne. Ma mère, qui ne me connait que trop bien, sait que c’est le signe que je ne pourrai pas le faire sans assistance médicale. Son anglais est limité, les sages femmes communiquent prioritairement avec ma belle-mère et mon partenaire, qui m’encouragent à poursuivre mes efforts. 

11h, l’équipe se décide enfin à appeler une ambulance. Je vais coûter doublement cher à l’état anglais. Non seulement on aura mobilisé une équipe de sages-femmes pendant près de 24h à la maison mais je finis en plus en bloc opératoire avec une extraction aux forceps, accompagnée d’une épisiotomie, de ma petite fille, qui ne pèse pas moins de 4kg200 et mesure un bon 53 cm.

Premier trimestre de vie : atterrissage et prises de contact


Retour sur un dénouement épique

Hôpital de York, une demie heure avant la naissance de Layla. J’ai totalement perdu la notion du temps, de l’espace. Je viens de subir un transport en ambulance d’une durée indéterminée et je n’ai strictement aucun souvenir de ce qui s’est passé avant. Je sens ce bébé aux portes de mon uterus, prêt à sortir, j’ai l’impression que mon corps va exploser. Cela fait des heures que cela dure. Mon partenaire me répète inlassablement que j’ai été incroyable. Il laisse même couler une larme, lui qui est si réservé et impassible. Je retrouve un brin de lucidité et je comprends que le dénouement approche.
L’équipe hospitalière se présente. Un a un, les membres du bloc me donnent leur prénom, leur fonction, et ce en quoi ils vont m’aider à « avoir mon bébé ». Je les trouve incroyablement professionnels, rassurants, et je comprends alors au ton de leur voix que c’est ce qui m’a manqué terriblement dans l’accompagnement par les sages-femmes à la maison.

Je sens à peine l’aiguille de l’épidurale dans mon dos, mon corps est tout transi de douleur et je n’ai plus qu’un semblant de conscience de mes membres. J’entends l’obstétricien qui fait un dernier contrôle cardiaque, le cœur de Layla a ralenti, il est plus que temps de l’aider à sortir. Plus tard, dans ma chambre, au calme, il me dira avec quelques mots subtils et bien pesés que j’ai eu parfaitement raison d’implorer l’ambulance. Encore plus tard, une fois ma raison toute retrouvée, je découvrirai un long dossier du Guardian, journal anglais, qui explique les risques du choix d’un accouchement à la maison pour un premier enfant (près de 40% des femmes finissent comme moi en ambulance transférées en urgences à l’hôpital). Je n’étais et ne serai pas la seule…

Retour au bloc. Je sens mes jambes partir, on les pose telles des guimauves sur un étrier. Je ne vois plus qu’Eldon, mon compagnon, et sa tenue ridicule de Schtroumpf. Je retrouve un semblant de calme et d’humour. Je pleure de soulagement. Quelques secondes dans ma perception, quelques minutes plus tard en réalité, ma petite fille de 4kg300 et 53cm, est posée sur ma poitrine, quelques 24 heures après que les contractions se soient rapprochées à 3 minutes d’intervalles, après un bœuf bourguignon dominical que l’on n’oubliera pas de sitôt. 

Toutes les douleurs s’évanouissent, l’accouchement à la maison, l’échec, la douleur. Elle est là, en pleine santé. Je prends mes quartiers dans une chambre avec quelques autres mamans. Séparées par des rideaux, j’entends les visiteurs aller et venir, les sanglots de certaines, déboussolées par ce petit être qui pleure et dont elles ne savent vraisemblablement que faire… La sage-femme est postée devant son ordinateur, juste à côté de mon ‘’isoloir’’. Je l’entends prendre des appels de femmes qui pensent avoir démarré le travail d’accouchement. Fausses alertes, petites angoisses, réelles imminences, le téléphone sonne en continu et elle répond inlassablement avec une douce et rassurante voix.

Layla est calme, malgré le dénouement épique et tumultueux, elle dort paisiblement dans son petit berceau en plastique, affublée de son bracelet sur lequel est inscrit ‘’baby Warwick’’. Nous souhaitions attendre de voir sa bouille afin de pouvoir décider de son prénom. 6 semaines de délai légal pour déclarer un enfant en Angleterre rendent les choses très confortables. Nous en utiliserons deux avant de finalement nous décider pour Layla, sous la pression familiale, française comme anglaise, qui crève d’annoncer la nouvelle à tout le monde.

Elle prend le sein, très bien, du premier coup. Je suis rassurée, je m’attendais à quelque chose de plus compliqué. Elle rampe comme un petit ver pour le trouver elle-même. Allaiter me semble une sinécure, je ne sais pas encore ce que je vais traverser prochainement. Une sage-femme corrobore mon impression : elle se nourrit correctement, j’ai l’air de « savoir ce que je fais », pas besoin de m’en dire plus, tout semble fonctionner.

Jour 2, Layla reçoit la visite du pédiatre. Oscultation complète, pesée, contrôle des réflexes. Rien ne me semble particulièrement original, peut-être parce que j’ai été nourrie par ces séries anglo-saxonnes et américaines se déroulant dans les milieux hospitaliers et que tout ce petit monde m’est familier depuis déjà un moment. Alors qu’il la pose à plat ventre sur sa grande main, elle redresse la tête et se cambre. Il nous regarde surpris, et lâche un… « elle est tonique ! ».

Nous sommes autorisées à rentrer à la maison, après quelques analyses de sang et vérifications prouvant que je récupère correctement de mon épisiotomie et intervention aux forceps.

La première semaine ou les montagnes russes

Je m’attends à voir réapparaitre Jane, la sage-femme qui m’avait convaincue d’opter pour un accouchement à la maison, mais c’est un vœu pieu. Elle s’évanouit dans la nature et malgré les quelques rendez-vous qui suivront dans les premières semaines de vie de Layla avant d’être déchargée, je ne la recroiserai jamais. Aveu de faiblesse ou simple désintérêt pour sa patientèle, je ne saurai jamais comment elle aura analysé notre « échec » commun.

Eldon décide de prendre une semaine de congés et de rester à mes côtés, malgré la présence rassurante de ma mère. J’ai subi une opération chirurgicale et même si je surfe encore sur l’euphorie de la naissance je vais très bientôt retomber sur terre et encaisser physiquement ce que je viens de traverser.

Pas de visites, uniquement le cercle très restreint durant cette première semaine. Les cartes de vœux qu’affectionnent tant les anglais et les cadeaux affluent jour après jour par le biais des parents de mon compagnon. Une collection de cartes aux teintes mauves, rosées, violettes, argentées ou dorées décore le rebord de la fenêtre. Au cas où on oublierait que c’est une petite fille à qui j’ai donné naissance.

Je commence à souffrir physiquement, les derniers effets de l’épidurale ont disparu, mon corps est transi, j’ai le sentiment qu’un poids lourd m’est passé dessus. Mais je veux rester concentrée sur l’allaitement de Layla, qui commence aussi à me donner du fil à retordre. Je ne le sais pas encore, mais je ne maitrise que trop peu la mise au sein. Je pensais avoir trouvé une routine mais tout est remis en cause quand les crevasses, terriblement douloureuses, apparaissent. Plus une minute de sommeil la nuit. Je suis en constante cogitation. Comment vais-je réussir à dépasser cet obstacle physique et poursuivre cet allaitement qui me tient tant à cœur.
Ma maman, soutien indéfectible devant l’éternel, essaie de me faire relativiser en m’expliquant, à juste raison, que mes frères et sœurs et moi-même avons été nourris au biberon et que nous étions tous les trois en très bonne santé. J’acquiesce, mais je suis convaincue qu’il me manque une information, un élément pour que l’allaitement se passe bien. La société anglaise qui m’entoure, familiale et élargie ne joue pas réellement en ma faveur. Les mamans allaitantes sont très largement minoritaires dans un pays avide de progrès, de consommation et de technologie. Les crevasses sont un signe selon certains que devrais peut-être abandonner. Que l’allaitement n’est pas fait pour moi.

Layla a exactement 6 jours lorsque, au petit matin, à 4h exactement, je descends en larmes et frappe à la porte de la chambre de ma mère. Je suis exténuée. Je ne peux pas m’assoir à cause des séquelles de l’opération, je ne trouve pas de position confortable pour allaiter pendant la nuit, mes seins me font souffrir le martyre.

On me fait couler un bain, réunion d’urgence. Eldon file à la pharmacie acheter quelques produits de soins et une boite de lait en poudre pour Layla. Il veut me soulager la conscience, si je souhaite arrêter un moment pour récupérer, elle est là, posée dans la cuisine.

Un bon repas plus tard, une grande sieste récupératrice, je retrouve mes esprits. Je viens de vivre le fameux baby-blues. On m’avait prévenue, il intervient entre 3 et 6 jours après la naissance. Combiné à de réelles difficultés physiques, il m’a fait douter de tout.

Les sages-femmes ont disparu de la circulation, Layla est trop en forme pour qu’un quelconque personnel médical se déplace. C’est moi qui flanche et je ne vois plus qu’une solution que j’ai évitée jusque là, chercher sur internet, en Français, dans ma langue natale, des informations sur comment réussir mon allaitement.

Et là, le miracle se produit. La Leche Ligue, association française de promotion et de soutien à l’allaitement, apparait sous mes yeux, avec ses dizaines de fiches toutes plus étayées les unes que les autres. Mon esprit scientifique et rationnel est rassuré. Il existe des problèmes, il existe des solutions à ces derniers, et j’ai encore mille choses à apprendre. Layla a besoin d’être guidée pour que mon corps soit respecté et « productif ». J’ai passé le plus dur, le reste n’est plus que découverte l’une de l’autre.

Seule à seule

Jusqu’aux trois semaines de Layla, bercée par la douce et rassurante présence de ma maman qui était toujours à mes côtés, je récupère un peu de cette énergie bientôt nécessaire lorsque je serai seule face à cette nouvelle réalité.

Layla est née au cœur de l’hiver, et dès son troisième jour de vie, alors que je n’étais pas en capacité physique de le faire, ma mère l’a emmenée dans sa poussette tout-terrain, alors immense pour le petit bébé qu’elle était, sur les chemins de campagne. J’avais imaginé pouvoir remplir cette mission dès le lendemain de mon accouchement, c’était sans compter sur le chantier de bataille qui se déclarerait sous mon nombril.

Et puis, le départ se produit. Le cocon jusqu’alors rassurant de nous trois, trois générations de femmes/filles à la même culture et à la même langue se rompt. Layla et moi sommes confrontées à la réalité, non seulement je devrai apprendre à connaitre mon enfant mais en plus je devrai reprendre mon intégration culturelle là où je l’avais laissée, dans ce pays où je tâtonne encore beaucoup, à ce stade.

Reprendre le train de vie, apprendre à composer avec le rythme d’un bébé et toute l’attention que requiert son très jeune âge. Continuer de se remettre sur pieds, reprendre ses esprits et se projeter à nouveau, après ce grand choc émotionnel.

C’est la valse des rendez-vous de suivi qui démarre et qui occupe mon esprit. Sage-femme, conseillers en santé (qui sont généralement des femmes), je ne sais pas bien discerner qui fait quoi, eux même semble parfois confus dans la description de leurs missions tant le système de santé anglais a été ébranlé par de nombreuses réformes.

Je prends le temps de répondre aux cartes de vœux de tout ce petit monde, dont je ne connais pas la moitié des têtes et des noms. C’est aussi la valse des visites qui démarre maintenant que je suis un peu plus en forme. Je me joue des clichés et habille Layla sciemment dans des couleurs neutres ou ‘’garçonne’’ lorsque nous sortons ou recevons. J’aime à voir les Anglais scanner sa tenue vestimentaire de bas en haut pour essayer de deviner si c’est un garçon ou une fille. Puis pour certains de lancer, désespérés, un très pragmatique ‘’how old ?’’ (quel âge ?), pour éviter la gaffe.

Le premier trimestre se conclut aussi par la préparation de notre voyage. Le système anglais permet de prendre 9 mois de congés maternité dès le premier enfant. Il me reste donc un bon capital de 4 mois et je compte bien aller rendre visite aux grands-parents maternels en Crète, et rompre la monotonie du long hiver anglais.

Pour cela, il faut que Layla obtienne son premier passeport. C’est l’occasion de notre premier grand voyage. Nous habitons dans le Yorkshire, à quelques 350 km de Londres. Après s’être affranchis des frais pour l’obtention d’un passeport en urgence, nous obtenons un rendez-vous au bureau des passeports de Londres. Je m’engage donc dans notre premier grand périple. Layla a tout juste deux mois. Deux heures trente de train puis une bonne heure de transports en commun une fois dans la capitale.

Je me demande comment ce petit bébé va se comporter. Elle est captivée par ce nouveau décor qu’est l’intérieur du wagon, elle sympathise très vite avec quelques Anglaises d’une soixantaine d’années, qui, la voyant heureuse et sereine, en profite pour se confier sur leurs propres petits enfants, beaucoup moins habitués à s’adapter à de nouvelles situations.

Au bureau des passeports, elle s’endort sur mon épaule, finalement épuisée par ce long périple. Je découvre les agents administratifs, coincés derrière leurs guichets et leurs routines quotidiennes, observant Layla avec un regard ému. Devoir accompli, nous rentrons à la maison avec son premier passeport et ses joues potelées immortalisées à l’intérieur. Ne nous reste plus qu’à compter les jours avant notre tant désiré périple sur l’île crétoise.

Les 3 à 6 mois, le premier voyage et la rencontre avec la mer

 

Je triche et démarre le récit de ce trimestre deux semaines avant les 3 mois révolus de Layla. Nous allons quitter la froide et brumeuse Angleterre le temps d’une visite de quelques semaines en Crète, où résident encore à l’époque mes deux parents. Les valises ont été faites et refaites plusieurs fois, il faut organiser également l’équipement, même s’il reste minimum, de la maison d’accueil, qui sera celle de ma mère.

Je trépigne d’impatience à l’idée de retrouver la Grand Bleue, chère à mon cœur, les sentiers fleuris et odorants des montagnes crétoises et surtout de partager tout cela avec mon petit lardon de déjà quelques 9 kilos.

La semaine qui précède notre départ, la communication avec ma mère est constante, grâce à tous ces outils connectés via le wifi qui permettent de relier les âmes séparées par des milliers de km. L’excitation monte et deux jours avant le grand départ, les valises sont bouclées, je suis dans les starting blocks. L’idée de voyager seule de longues heures avec un petit bébé ne m’angoisse pas le moins du monde, malgré les questions récurrentes de mon entourage britannique, soucieux de ce long périple qui nous attend. Le virus de l’expatriation et de la bougeotte est hautement transmissible et je veux faire de cette première expérience de voyage pour Layla une fête plus qu’une contrainte.

Mon environnement, surtout composé de personnes très sédentaires (on nait, on grandit et on meurt dans le Yorkshire, la rose blanche sur le cœur) a du mal à comprendre cette nécessité que je ressens de m’éloigner si tôt du nid familial alors que je commence enfin à prendre mes marques de jeune maman. Possible conséquence de mon intégration réussie (on en arrive à oublier que je ne suis pas britannique et que Layla a une famille outre-Manche), j’explique inlassablement les motivations qui me poussent à planifier ce long séjour.

Le jour du périple

Notre périple démarre un jour pluvieux d’avril, comme le Yorkshire sait en faire. Nous partons en milieu de matinée, conduit par mon partenaire, en direction de l’aéroport de Manchester. Je laisse les deux gazouiller ensemble à l’avant, s’échanger des regards amoureux père-fille et prends place à l’arrière où je me prépare mentalement au périple qui m’attend tel un match de boxe : visualisation et projection.

Nous arrivons au terminal, un dernier café en famille et nous passons les douanes où nous nous retrouvons en tête à tête, mon lardon et moi. Première épreuve, le portique de sécurité. Il faut que je me déshabille, défasse mes trois sacs pour en extirper les objets à déclarer et porte en même temps Layla, qui malgré son jeune âge, se tord dans tous les sens pour observer cet endroit étrange. Personne ne peut me soulager de quoi que ce soit, Manchester est un aéroport aux formalités douanières les plus strictes en Europe et le trafic constant de passagers donne à l’endroit un caractère impersonnel. J’ai hâte d’en finir, manque de chance, le paracétamol de Layla nous retiendra une demi-heure supplémentaire aux ‘’customs’’.

Une fois dans la salle d’embarquement, nous pouvons respirer. Une tétée de réconfort, quelques fruits secs qui permettront de tenir jusqu’à l’arrivée (pas question de payer le paquet de 5 chips à 5€ à bord de l’avion !) et nous voila prêtes à affronter le plus gros morceau du périple : le vol de 4h30 et la promiscuité de la cabine d’avion. L’heure de l’embarquement est arrivée. L’avion est plein. Comme souvent sur les compagnies lowcost, les sièges sont étroits et l’espace pour les jambes restreint. Je suis assise à côté d’un monsieur aux dimensions imposantes.

 Je repère une rangée de sièges complètement libres à l’arrière de l’avion et demande à une hôtesse de l’air si je peux m’y installer après le décollage. Elle accepte ma requête, visiblement sensible à ma situation pour le moins originale.

Le vol se passe sans encombre, les différences de pressions liées au décollage et atterrissage ne font pas souffrir Layla, que je mets instantanément au sein afin qu’elle ouvre ses voies aériennes grâce au principe de déglutition. Elle s’endort à plusieurs reprises, assommée par l’ambiance ‘’boite de conserve’’ de la cabine de l’avion et lors de ces brefs réveils, observe cet endroit étrange jamais encore visité tout en étirant ses petites jambes sur la rangée de sièges dont nous bénéficions gracieusement.

Nous arrivons finalement à Héraklion, petit aéroport de la capitale crétoise, où l’absence de formalités soulage notre fatigue de fin de périple. Une fois les valises récupérées, je me dirige vers la sortie où je retrouve ma maman, avec grande joie. Il nous reste un peu plus d’une heure de voiture à effectuer. Layla a été jusqu’à présent adorable, ne pleurant que très peu et absorbant chaque minute de cette toute nouvelle expérience.

Mais le trajet en voiture sera le trajet de trop. Elle n’est pas particulièrement heureuse à l’idée de se retrouver attachée dans un siège auto et préférerait dégourdir ses petits membres fourbus. Nous nous retrouvons contraintes de nous arrêter au milieu du trajet, sur une bande d’arrêt d’urgence de la nouvelle nationale crétoise en construction, au creux de la nuit noire, sans éclairage. Une petite chanson et une balade ‘’au frais’’ plus tard, elle semble calmée et nous finissons le dernier tronçon, pour finalement retrouver la petite maison paisible de ma maman au milieu des oliviers, tard dans la nuit.

La rencontre avec la mer, l’autre.

Nouvelle maison, nouveaux repères, nouvel environnement pour Layla, à peine trois mois : rien ne semble profondément la perturber. Même la chaleur belle et bien présente en cette fin de printemps, début d’été ne semble pas la déranger. 

La mer est encore un peu fraîche, si nous nous autorisons à y tremper les pieds uniquement, il faudra attendre quelques degrés de plus pour s’y jeter complètement. Il va donc falloir compenser les habituelles séances de piscine en Yorkshire. Layla ne rentre pas dans le plus grand des modèles de bains pour bébés crétois : une bonne excuse pour acheter une petite piscine gonflable, dans laquelle elle pourra prendre son bain quotidien sur la terrasse, à l’ombre du caroubier. Après avoir vécu l’atmosphère chaude et moite de la piscine couverte de Mer du Nord que nous fréquentons tous les vendredis depuis qu’elle a 6 semaines, elle s’essaye maintenant à la chaleur sèche des latitudes méditerranéennes.

Chaque jour, entre autres balades, nous parcourons les quelques centaines de mètres à pied pour rejoindre la plage en bas de chez ma maman. Layla, malgré une vision encore un peu réduite, reconnait le bruit des vagues, et pousse des cris d’excitation quand elle en aperçoit les premières formes. Bientôt nous entrons complètement dans l’eau, alors que le mois de mai a sonné l’arrivée de l’été, brutal, comme toujours, et le petit lutin de quelques mois qu’elle est se régale à jouer dans les vagues. Je peine à la sortir de l’eau chaque jour un peu plus et je vois son intérêt grandir au fur à mesure des baignades.

Ce séjour en Crète, avec entre autres la rencontre avec son grand-père et la découverte de nouvelles couleurs et nouvelles ambiances est aussi l’occasion de tester le portage en randonnée. Une amie m’a prêté une écharpe de portage, simple mais efficace et nous nous essayons d’abord à quelques petites marches. Mon corps semble avoir retrouvé un peu de sa tonicité et mes articulations résistent plutôt bien au poids pas vraiment plume de Layla.

Quelques jours avant notre retour en Angleterre, alors que nous avons réactivé progressivement tous les muscles, nous nous lançons dans une grande randonnée entre filles, trois générations de marcheuses, dans les Gorges de Richtis, seules gorges en eau de l’Est de la Crète, alors que la chaleur de début juin est presque caniculaire. Trois heures de marche, d’escalade parfois au milieu d’une verdure presque ‘’junglesque’’ : lianes, figuiers les pieds dans l’eau, vasques et chutes d’eau en pagaille. Mon petit Mowgli n’en perd pas une miette depuis son écharpe rayée, les yeux grands-ouverts, elle scrute le moindre détail de cet environnement captivant, s’interrompant furtivement avec quelques tétées, en marche.

Retour en Yorkshire, le temps de la sociabilisation

Mi juin, coïncidence heureuse, nous prenons le vol retour le premier jour de ma trente-quatrième année : je passerai la première moitié de mon anniversaire en Crète et la deuxième en Angleterre, présage heureux d’une future expatriation « à deux têtes » (que j’expliquerai dans un prochain billet).

En partant d’Angleterre avec Layla juste avant ses trois mois, nous avons loupé toutes les sessions jeunes mamans programmées à partir du début du second trimestre : massages pour bébés, groupes de discussions, groupes de jeux d’éveil, etc. Maintenant que je me suis ressourcée auprès des miens, je me sens plus en forme pour retrouver un brin de vie en société, en langue anglaise.

Nous démarrons par le baby-massage. 6 séances, 7 mamans, 7 bébés entre 1 mois et demi et presque 6 mois. Tous les gabarits, tous les comportements, et une ambiance bonne enfant où l’on se retrouve souvent à ‘’trainer’’ après le cours pour échanger un peu plus longuement sur nos vies de jeunes mamans. La consultante est proche de la retraite et lit constamment ses fiches, visiblement fatiguée. Nos regards complices se croisent : peu importe, nous sommes venues surtout pour la compagnie, et tel un aveu de faiblesse, beaucoup d’entre nous reconnaissent ne pas réellement pratiquer le massage en dehors des sessions.

Nous nous initions aussi aux jeux d’éveil en groupe, aux lectures de contes à la bibliothèque. Les liens tissés avec les mamans restent éphémères, mais il est toujours bon de voir d’autres parents évoluer avec leur bambin pour prendre un peu de recul sur ses propres méthodes éducatives.

Quelques jours après ses 5 mois, Layla, bien trop tonique pour apprécier la douceur d’un massage quelconque, décide de nous faire la surprise de sa nouvelle maitrise de compétence : la position assise. Ma mère, qui n’a laissé passer que quelques semaines après notre départ de Crète pour nous rejoindre au cœur de l’été anglais, découvre une petite-fille qui se tient maintenant droite comme un ‘’i’’, sans appui, prête à affronter le monde à hauteur de genoux.

Un pas supplémentaire vers une forme d’indépendance, conjugué à une poussée de croissance qui la rendra vorace et presque insomniaque pendant quelques semaines. Les dernières semaines du congé maternité seront intenses en événements et en nouveaux caps franchis !

Les 6-9 mois ou le retour à la réalité

J’ai épuisé tous mes droits de maternité. Je ne suis pas particulièrement pressée de retourner à la réalité du monde extérieure, ces quelques mois passés en tête à tête avec un enfant qui change presque chaque jour a rempli mes journées et le temps semble avoir filé entre les doigts depuis sa naissance.

Mais il faut y retourner. Pour se reconnecter avec la société. Pour continuer le chemin de l’expatriation en Angleterre quelque part arrêté un jour de février 2017. Pour retrouver un peu d’indépendance financière, le congé maternité n’ayant apporté que les revenus nécessaires pour palier aux besoins primaires de ma fille en soins et en équipement.

C’est là qu’il faut se réinventer. Je suis arrivée en Angleterre l’esprit léger, me disant que j’entreprendrai le chantier de ma reconversion professionnelle après l’accouchement. J’ai repoussé l’échéance en acceptant le compromis du travail « alimentaire » le temps de la grossesse, sachant lucidement qu’il ne conviendrait plus après la naissance de Layla.

L’expatriation ou plutôt les expatriations, forgent une nouvelle adaptabilité, une souplesse d’esprit insoupçonnée. Une fois sortie du moule culturel français et de son code du travail bien défini, je me suis mise à accepter des nouvelles conditions, des nouveaux modes de vie, des nouveaux compromis qui m’ont permis de maintenir le cap du dépaysement et de l’aventure.

Mais la parentalité bouleverse à nouveau ces acquis. S’adapter à un système différent, à un code du travail – en l’occurrence celui britannique qui demande une dévotion parfois totale à son emploi dans certains domaines pour des salaires souvent dérisoires – montre ses limites lorsqu’un petit être est venu s’insérer au milieu du paysage quotidien et des priorités. Il faut donc à nouveau réinventer sa vie, se réinventer comme le disent de nouveaux courants de pensée pour retrouver un soupçon d’équilibre entre les besoins d’adaptation au pays et les priorités familiales nouvelles.

Se réinventer

Malgré des nuits courtes et découpées, malgré une vie profondément bouleversée et des journées qui se suivent et ne se ressemblent jamais, il faut se ressaisir et restructurer ses pensées. Qu’ai-je dans ma hotte qui puisse servir de point de départ pour une carrière nouvelle ? Mon parcours, éclectique et diversifié, s’il m’a procuré beaucoup de plaisir jusque là ne me garantit pas cependant à ce jour d’être qualifiable pour quelque emploi que ce soit dans cette nouvelle vie sédentaire.

Monitrice de plongée, géographe au master avorté dans sa dernière ligne droite, ancienne pompier volontaire, agent immobilier improvisée quelques mois, et collectionneuse d’emplois précaires dans l’éducation nationale, je peux me vanter d'une grande adaptabilité mais rien qui ne me permette de remplir les cases nécessaires aux emplois qui me semblent intéressants en terre anglaise.

Il me reste une dernière cartouche, mes compétences linguistiques. Elles sont bâties depuis ma scolarité pour certaines, autodidactes pour d’autres. Mais elles sont là, je suis une polyglotte des temps modernes : un produit de la génération du film l’Auberge espagnole et des programmes Erasmus. Je suis convaincue depuis mon arrivée en Angleterre que c’est un filon à exploiter mais je n’en ai pas encore trouvé la forme idéale.

Après être passée par de multiples filières traditionnelles : candidatures spontanées, inscription dans des agences de traductions, dans des écoles de langues. Après avoir essuyé de nombreux refus : vous n’avez pas le diplôme universitaire, vous n’avez pas la formation qualifiante. Je jette une bouteille à la mer. Et on la repêche. On me laisse enfin ma chance de montrer ma bonne volonté. Je suis recrutée dans une agence de Digital Marketing près de chez moi qui me donne de nombreuses missions de traductions, recherches, dans les 5 langues que je maîtrise. Le ciel se dégage. Il semblerait que j’ai fait une bonne pioche. Mes employeurs sont satisfaits, et je retrouve un peu de confiance en mon avenir professionnel dans cette nouvelle étape.

Et pendant ce temps…

Et pendant ce temps, Layla vit ses premiers émois à la garderie. Ses grand-parents britanniques, âgés et diminués physiquement ne peuvent plus assurer le rythme croissant des gardes. Ma situation professionnelle semble décoller et il faut rechercher une structure d’accueil.

La commune où je réside laisse le choix entre deux garderies. Une « traditionnelle », ultra sollicitée, et en plein centre. Une autre, de l’école Montessori, à l’extérieur et beaucoup moins prisée par la population locale. Si le contexte éducatif dans lequel Layla va évoluer est évidemment primordial et étudié de près, c’est l’argent qui dicte notre décision finale : heureuse coïncidence, Montessori offre les prestations les « moins couteuses ».

Le système de garderie anglais est un système entièrement libéralisé. Aucune aide à l’enfance n’est prévue avant l’âge de 3 ans (à l’aube de l’entrée à la preschool, équivalent de la maternelle) et les frais, plutôt importants, sont à la charge intégrale des parents. Dans mon cas et dans le cas de beaucoup de femmes qui m’entourent, les salaires d’emplois non qualifiés, ou d’emplois qualifiés rémunérés au lance-pierre, ne permettent non seulement pas de couvrir les frais de garde d’enfants mais parfois même font un trou dans le budget familial.

Malgré quelques appréhensions liées à notre intimité forcée de ces derniers mois dans notre petit coin de campagne reculé, Layla se montre très sociable et indépendante dès les premiers jours de garderie. Je la récupère à la mi-journée, barbouillée de biscuits et de paillettes, débraillée mais heureuse et lis avec joie son petit carnet où les assistantes maternelles tiennent à jour toutes ses activités et comportements.

L’automne arrive

L’automne arrive plus vite que son ombre en Yorkshire. L’hiver pointe déjà son nez à la mi-octobre. L’activité rurale ralentit, les champs de dépouillent de leurs dernières céréales de l’année, les arbres laissent tomber leurs feuilles aux premières tempêtes venues de Mer du Nord ou d’Irlande. C’est le début de la déclinaison de la luminosité. Nous sommes peu ou prou à la même latitude que le Danemark, ou bien encore de Minsk en Russie. Les jours vont se réduire en peau de chagrin et ne laisser que peu de répit pour engager quelque activité que ce soit en extérieur.

Après s’être réinventée, il faut aussi réinventer la vie avec un bébé qui a passé les 6 premiers mois de sa vie dehors ou presque. Le facteur climatique, s’il est favorable dans certains pays d’expatriation devient une réelle contrainte, ou pour en parler en des termes plus positifs, un réel défi lorsque le temps n’est pas à la faveur d’une vie en extérieur.

C’est l’occasion de glaner plein de jouets d’occasion dans les magasins de charité britannique, où de nombreux parents généreux et solidaires font des donations volumineuses et permettent à des familles avec des petits budgets de s’équiper décemment. Le salon, déjà petit, rétrécit à vue d’œil et Layla se contente de regarder le jardin par la fenêtre en rêvant des jours adoucis du printemps.

9-12 mois : vers l’autonomie retrouvée

Ma vie professionnelle décolle enfin

Je me suis réinventée avec ardeur et entrain depuis que j’ai repris le travail, en acceptant les compromis et les salaires les plus bas. Patience et abnégation (parfois teintées de découragements) finissent par payer. On reconnaît mon travail, mes compétences, nouvelles mais avérées aux dires de mes managers. Le salaire, jusque là ridicule, commence doucement à augmenter et j’aperçois un semblant de profit à l’horizon : je vais enfin pouvoir gagner un peu d’argent une fois les frais de garderie dépensés.

J’ai un projet pour l’été qui me tient à cœur. Bougeotte oblige, je souhaite partir passer la saison d’été en Crète avec Layla, et je n’ai comme unique obsession que de rendre ma nouvelle carrière professionnelle transposable partout où je le souhaite. Graal du saint Graal : le statut de digital nomade ou le télétravail.

J’atteins petit à petit mes objectifs et tout en obtenant des salaires de plus en plus convenables et des missions de plus en plus intéressantes, je vois le projet crétois se rapprocher doucement, mais sûrement. En plus d’offrir à Layla une autre fenêtre sur notre monde divers et passionnant, je vais pouvoir enfiler à nouveau la combinaison de plongée et enseigner quelques cours à mes anciens élèves. Je trépigne.

Et pendant ce temps-là, Layla babille en deux langues…

Et pendant ce temps, Layla continue de développer les habilités propres à son âge, doucement mais sûrement. Le quatre pattes. L’expressivité et les émotions nouvelles. La motricité fine. Et… telle l’enfant de la troisième culture qu’elle est condamnée à devenir (pour son plus grand bien, j’en suis convaincue) : le bilinguisme.

Les premiers babillages arrivent, ils sont teintés de sonorités anglaises et françaises mélangées. Elle prononce un parfaitement nasal Maman et prend son air le plus british pour appeler son Daddy, symbole sinon plus révélateur de ses futures vies et différentes personnalités.

Un bilinguisme qui rencontre parfois quelques réticences sinon oppositions de la part de certains des membres de ma petite communauté rurale du Yorkshire profond. Je m’évertue à ne parler que français à Layla, y compris dans les lieux publics lorsque l’interaction ne concerne qu’elle et moi. Beaucoup se sentent exclus et craignent des médisances dissimulées : symptôme d’un manque de confiance en soi cruel, les Anglais du monde rural ayant peu d’affinité et de connaissances en langues étrangères. Le tout teinté d’un soupçon de repli communautariste et souverain causé par un Brexit qui a remis certains sujets sensibles au goût du jour. Pas évident toujours donc d’assumer la multiculturalité de ma fille par les temps qui courent. Le sourire et la dédramatisation de la situation restent probablement la meilleure réponse au malaise, les Anglais ayant néanmoins cette qualité remarquable de savoir rire d’eux-mêmes.

…tout en oubliant de dormir !

Layla ne dort toujours pas plus de 3h en continu la nuit. Nous avons trouvé notre rythme malgré tout. Le cododo me soulage d’énormément de fatigue, je me rendors avec elle aussitôt qu’elle démarre la tétée et je me rappelle rarement au réveil de combien de fois nous avons dû nous rapprocher elle et moi pour une séance de câlins aromatisés au lait.

Je me couche tard, souvent à cause des permanences au bar où je continue d’assurer quelques heures par semaine, je me réveille tôt, fais rarement la sieste et assure des journées bien denses et remplies, jonglant avec 3 jobs différents. Mon entourage s’inquiète. A les entendre, je ne devrais plus tenir debout, mais je devrais être alitée, sous perfusion, vu le calvaire nocturne que me fait subir ma fille la nuit.

Difficile de faire entendre aux proches, qu’ils soient Anglais ou Français, que le rythme de sommeil pour le moins découpé de Layla n’impacte pas pour autant ma vie ni mon efficacité. Le sommeil est une angoisse universelle que l’être humain se plait à partager. Et c’est cette lancinante et épuisante interrogation inquisitrice de mes proches ou moins proches sur les rythmes de sommeil de ma fille qui finissent par me fatiguer plus que tout.
Je me refuse à mentir cependant (c’est une option qui me sauverait de bien des discussions), d’autant plus depuis que j’ai lu une enquête du Telegraph datant de 2006 mais certainement encore d’actualité racontant que plus d’un tiers des Anglais mentent lorsqu’ils sont interrogés sur les cycles de sommeil de leur bébé. Un tabou national, un secret de polichinelle. Je me fais un honneur, sous couvert d’un militantisme à peine dissimulé, d’assumer haut et fort les rythmes de sommeil « ratés » de ma fille. Les enfants ne se ressemblent pas et les étapes de développement sont propres à chacun ou chacune, je combats les esprits standardisés.

A l’aube de la première année, retour aux racines françaises

Layla a 11 mois quand la famille française (grand-mère, oncle et tante avec leur partenaires) vient nous rendre visite pour Noël, le temps d’un court mais intense séjour. La maison, habituellement so british, prend des accents français. Odeur de la tartiflette cuisant au four, vin rouge coulant à flot, réveillon de Noel à la française, jeux de société et noms d’oiseaux affectueux envolés dans l’atmosphère.

C’est la première introduction de Layla à ses origines françaises, un avant-goût du périple à venir en terre parisienne et angevine à l’aube de ses un an. Mi-janvier, nous prenons l’avion pour Paris où je vais présenter Layla à une grande partie de ma famille paternelle et de quelques amis restés proches depuis de nombreuses années. Les journées sont incroyablement intenses : de nouvelles têtes, de nouveaux appartement et lieux publics à explorer, le tumulte de la capitale, si vivant et bouillonnant comparé à notre campagne paisible du Yorkshire, des trains, des avions, des bus, des voitures… Layla ne perd pas une miette. Les siestes se font rares. Les soirées sont délicates à gérer tant la fatigue accumulée et l’excitation un peu plus grande chaque jour ont du mal à se dissiper au moment du coucher. Mais c’est un mal pour un bien, une étape incontournable dans sa future vie d’enfant de la troisième culture : en filigrane de ce périple, je souhaite qu’elle continue de cueillir les émotions qui font ses origines et de travailler à son adaptabilité et sa sociabilité.

Le voyage est également ponctué de quelques rituels que je n’aurais - pour rien au monde - oubliés, malgré les intempéries persistantes du mois de janvier parisien : Beaubourg et les fontaines de Nikki de St Phalle, le parvis de la Tour Eiffel, le musée d’Orsay, ces lieux qui ont fait les souvenirs de ma propre enfance, partagée entre la capitale française et la douceur angevine. Nous sommes aguerries et équipées pour la pluie, la poussette tout-terrain souvent trop large pour les portes du métro ou du RER, arpente les couloirs sous-terrains de la ville de fond en comble et une main volontaire se signale toujours quand il s’agit de gravir une montagne d’escaliers.

Nous rentrons en Angleterre « repues » de France. La valise pleine de fromages de montagne, de jeux et livres made in France, et les caboches pleines de souvenirs odorants, visuels, auditifs et sentimentaux. En attendant les prochaines aventures !


Ecrit pour Expats Parents par Lisa Fras, traductrice free lance et blogueuse pour Courrier Expat
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