Premier trimestre de vie : atterrissage et prises de contact
Retour sur un dénouement épique
Hôpital de York, une demie heure avant la naissance de Layla.
J’ai totalement perdu la notion du temps, de l’espace. Je viens de subir un
transport en ambulance d’une durée indéterminée et je n’ai strictement aucun
souvenir de ce qui s’est passé avant. Je sens ce bébé aux portes de mon uterus,
prêt à sortir, j’ai l’impression que mon corps va exploser. Cela fait des
heures que cela dure. Mon partenaire me répète inlassablement que j’ai été
incroyable. Il laisse même couler une larme, lui qui est si réservé et
impassible. Je retrouve un brin de lucidité et je comprends que le dénouement
approche.
L’équipe hospitalière se présente. Un a un, les membres du bloc me donnent leur
prénom, leur fonction, et ce en quoi ils vont m’aider à « avoir mon
bébé ». Je les trouve incroyablement professionnels, rassurants, et je
comprends alors au ton de leur voix que c’est ce qui m’a manqué terriblement
dans l’accompagnement par les sages-femmes à la maison.
Je sens à peine l’aiguille de l’épidurale dans mon dos, mon corps est tout transi de douleur et je n’ai plus qu’un semblant de conscience de mes membres. J’entends l’obstétricien qui fait un dernier contrôle cardiaque, le cœur de Layla a ralenti, il est plus que temps de l’aider à sortir. Plus tard, dans ma chambre, au calme, il me dira avec quelques mots subtils et bien pesés que j’ai eu parfaitement raison d’implorer l’ambulance. Encore plus tard, une fois ma raison toute retrouvée, je découvrirai un long dossier du Guardian, journal anglais, qui explique les risques du choix d’un accouchement à la maison pour un premier enfant (près de 40% des femmes finissent comme moi en ambulance transférées en urgences à l’hôpital). Je n’étais et ne serai pas la seule…
Retour au bloc. Je sens mes jambes partir, on les pose telles des guimauves sur un étrier. Je ne vois plus qu’Eldon, mon compagnon, et sa tenue ridicule de Schtroumpf. Je retrouve un semblant de calme et d’humour. Je pleure de soulagement. Quelques secondes dans ma perception, quelques minutes plus tard en réalité, ma petite fille de 4kg300 et 53cm, est posée sur ma poitrine, quelques 24 heures après que les contractions se soient rapprochées à 3 minutes d’intervalles, après un bœuf bourguignon dominical que l’on n’oubliera pas de sitôt.
Toutes les douleurs s’évanouissent, l’accouchement à la maison, l’échec, la douleur. Elle est là, en pleine santé. Je prends mes quartiers dans une chambre avec quelques autres mamans. Séparées par des rideaux, j’entends les visiteurs aller et venir, les sanglots de certaines, déboussolées par ce petit être qui pleure et dont elles ne savent vraisemblablement que faire… La sage-femme est postée devant son ordinateur, juste à côté de mon ‘’isoloir’’. Je l’entends prendre des appels de femmes qui pensent avoir démarré le travail d’accouchement. Fausses alertes, petites angoisses, réelles imminences, le téléphone sonne en continu et elle répond inlassablement avec une douce et rassurante voix.
Layla est calme, malgré le dénouement épique et tumultueux, elle dort paisiblement dans son petit berceau en plastique, affublée de son bracelet sur lequel est inscrit ‘’baby Warwick’’. Nous souhaitions attendre de voir sa bouille afin de pouvoir décider de son prénom. 6 semaines de délai légal pour déclarer un enfant en Angleterre rendent les choses très confortables. Nous en utiliserons deux avant de finalement nous décider pour Layla, sous la pression familiale, française comme anglaise, qui crève d’annoncer la nouvelle à tout le monde.
Elle prend le sein, très bien, du premier coup. Je suis rassurée, je m’attendais à quelque chose de plus compliqué. Elle rampe comme un petit ver pour le trouver elle-même. Allaiter me semble une sinécure, je ne sais pas encore ce que je vais traverser prochainement. Une sage-femme corrobore mon impression : elle se nourrit correctement, j’ai l’air de « savoir ce que je fais », pas besoin de m’en dire plus, tout semble fonctionner.
Jour 2, Layla reçoit la visite du pédiatre. Oscultation complète, pesée, contrôle des réflexes. Rien ne me semble particulièrement original, peut-être parce que j’ai été nourrie par ces séries anglo-saxonnes et américaines se déroulant dans les milieux hospitaliers et que tout ce petit monde m’est familier depuis déjà un moment. Alors qu’il la pose à plat ventre sur sa grande main, elle redresse la tête et se cambre. Il nous regarde surpris, et lâche un… « elle est tonique ! ».
Nous sommes autorisées à rentrer à la maison, après quelques analyses de sang et vérifications prouvant que je récupère correctement de mon épisiotomie et intervention aux forceps.
La première semaine ou les montagnes russes
Je m’attends à voir réapparaitre Jane, la sage-femme qui m’avait convaincue d’opter pour un accouchement à la maison, mais c’est un vœu pieu. Elle s’évanouit dans la nature et malgré les quelques rendez-vous qui suivront dans les premières semaines de vie de Layla avant d’être déchargée, je ne la recroiserai jamais. Aveu de faiblesse ou simple désintérêt pour sa patientèle, je ne saurai jamais comment elle aura analysé notre « échec » commun.
Eldon décide de prendre une semaine de congés et de rester à mes côtés, malgré la présence rassurante de ma mère. J’ai subi une opération chirurgicale et même si je surfe encore sur l’euphorie de la naissance je vais très bientôt retomber sur terre et encaisser physiquement ce que je viens de traverser.
Pas de visites, uniquement le cercle très restreint durant cette première semaine. Les cartes de vœux qu’affectionnent tant les anglais et les cadeaux affluent jour après jour par le biais des parents de mon compagnon. Une collection de cartes aux teintes mauves, rosées, violettes, argentées ou dorées décore le rebord de la fenêtre. Au cas où on oublierait que c’est une petite fille à qui j’ai donné naissance.
Je commence à souffrir physiquement, les derniers effets de
l’épidurale ont disparu, mon corps est transi, j’ai le sentiment qu’un poids
lourd m’est passé dessus. Mais je veux rester concentrée sur l’allaitement de
Layla, qui commence aussi à me donner du fil à retordre. Je ne le sais pas
encore, mais je ne maitrise que trop peu la mise au sein. Je pensais avoir
trouvé une routine mais tout est remis en cause quand les crevasses,
terriblement douloureuses, apparaissent.
Plus une minute de sommeil la nuit. Je suis en constante cogitation. Comment
vais-je réussir à dépasser cet obstacle physique et poursuivre cet allaitement
qui me tient tant à cœur.
Ma maman, soutien indéfectible devant l’éternel, essaie de me faire relativiser
en m’expliquant, à juste raison, que mes frères et sœurs et moi-même avons été
nourris au biberon et que nous étions tous les trois en très bonne santé.
J’acquiesce, mais je suis convaincue qu’il me manque une information, un
élément pour que l’allaitement se passe bien. La société anglaise qui
m’entoure, familiale et élargie ne joue pas réellement en ma faveur. Les mamans
allaitantes sont très largement minoritaires dans un pays avide de progrès, de
consommation et de technologie. Les crevasses sont un signe selon certains que
devrais peut-être abandonner. Que l’allaitement n’est pas fait pour moi.
Layla a exactement 6 jours lorsque, au petit matin, à 4h exactement, je descends en larmes et frappe à la porte de la chambre de ma mère. Je suis exténuée. Je ne peux pas m’assoir à cause des séquelles de l’opération, je ne trouve pas de position confortable pour allaiter pendant la nuit, mes seins me font souffrir le martyre.
On me fait couler un bain, réunion d’urgence. Eldon file à la pharmacie acheter quelques produits de soins et une boite de lait en poudre pour Layla. Il veut me soulager la conscience, si je souhaite arrêter un moment pour récupérer, elle est là, posée dans la cuisine.
Un bon repas plus tard, une grande sieste récupératrice, je retrouve mes esprits. Je viens de vivre le fameux baby-blues. On m’avait prévenue, il intervient entre 3 et 6 jours après la naissance. Combiné à de réelles difficultés physiques, il m’a fait douter de tout.
Les sages-femmes ont disparu de la circulation, Layla est trop en forme pour qu’un quelconque personnel médical se déplace. C’est moi qui flanche et je ne vois plus qu’une solution que j’ai évitée jusque là, chercher sur internet, en Français, dans ma langue natale, des informations sur comment réussir mon allaitement.
Et là, le miracle se produit. La Leche Ligue, association française de promotion et de soutien à l’allaitement, apparait sous mes yeux, avec ses dizaines de fiches toutes plus étayées les unes que les autres. Mon esprit scientifique et rationnel est rassuré. Il existe des problèmes, il existe des solutions à ces derniers, et j’ai encore mille choses à apprendre. Layla a besoin d’être guidée pour que mon corps soit respecté et « productif ». J’ai passé le plus dur, le reste n’est plus que découverte l’une de l’autre.
Seule à seule
Jusqu’aux trois semaines de Layla, bercée par la douce et rassurante présence de ma maman qui était toujours à mes côtés, je récupère un peu de cette énergie bientôt nécessaire lorsque je serai seule face à cette nouvelle réalité.
Layla est née au cœur de l’hiver, et dès son troisième jour de vie, alors que je n’étais pas en capacité physique de le faire, ma mère l’a emmenée dans sa poussette tout-terrain, alors immense pour le petit bébé qu’elle était, sur les chemins de campagne. J’avais imaginé pouvoir remplir cette mission dès le lendemain de mon accouchement, c’était sans compter sur le chantier de bataille qui se déclarerait sous mon nombril.
Et puis, le départ se produit. Le cocon jusqu’alors rassurant de nous trois, trois générations de femmes/filles à la même culture et à la même langue se rompt. Layla et moi sommes confrontées à la réalité, non seulement je devrai apprendre à connaitre mon enfant mais en plus je devrai reprendre mon intégration culturelle là où je l’avais laissée, dans ce pays où je tâtonne encore beaucoup, à ce stade.
Reprendre le train de vie, apprendre à composer avec le rythme d’un bébé et toute l’attention que requiert son très jeune âge. Continuer de se remettre sur pieds, reprendre ses esprits et se projeter à nouveau, après ce grand choc émotionnel.
C’est la valse des rendez-vous de suivi qui démarre et qui occupe mon esprit. Sage-femme, conseillers en santé (qui sont généralement des femmes), je ne sais pas bien discerner qui fait quoi, eux même semble parfois confus dans la description de leurs missions tant le système de santé anglais a été ébranlé par de nombreuses réformes.
Je prends le temps de répondre aux cartes de vœux de tout ce petit monde, dont je ne connais pas la moitié des têtes et des noms. C’est aussi la valse des visites qui démarre maintenant que je suis un peu plus en forme. Je me joue des clichés et habille Layla sciemment dans des couleurs neutres ou ‘’garçonne’’ lorsque nous sortons ou recevons. J’aime à voir les Anglais scanner sa tenue vestimentaire de bas en haut pour essayer de deviner si c’est un garçon ou une fille. Puis pour certains de lancer, désespérés, un très pragmatique ‘’how old ?’’ (quel âge ?), pour éviter la gaffe.
Le premier trimestre se conclut aussi par la préparation de notre voyage. Le système anglais permet de prendre 9 mois de congés maternité dès le premier enfant. Il me reste donc un bon capital de 4 mois et je compte bien aller rendre visite aux grands-parents maternels en Crète, et rompre la monotonie du long hiver anglais.
Pour cela, il faut que Layla obtienne son premier passeport. C’est l’occasion de notre premier grand voyage. Nous habitons dans le Yorkshire, à quelques 350 km de Londres. Après s’être affranchis des frais pour l’obtention d’un passeport en urgence, nous obtenons un rendez-vous au bureau des passeports de Londres. Je m’engage donc dans notre premier grand périple. Layla a tout juste deux mois. Deux heures trente de train puis une bonne heure de transports en commun une fois dans la capitale.
Je me demande comment ce petit bébé va se comporter. Elle est captivée par ce nouveau décor qu’est l’intérieur du wagon, elle sympathise très vite avec quelques Anglaises d’une soixantaine d’années, qui, la voyant heureuse et sereine, en profite pour se confier sur leurs propres petits enfants, beaucoup moins habitués à s’adapter à de nouvelles situations.
Au bureau des passeports, elle s’endort sur mon épaule, finalement épuisée par ce long périple. Je découvre les agents administratifs, coincés derrière leurs guichets et leurs routines quotidiennes, observant Layla avec un regard ému. Devoir accompli, nous rentrons à la maison avec son premier passeport et ses joues potelées immortalisées à l’intérieur. Ne nous reste plus qu’à compter les jours avant notre tant désiré périple sur l’île crétoise…
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