Journal d'une maman expatriée (4)

#expatriation , #enfant , #travail

Les 6-9 mois ou le retour à la réalité

J’ai épuisé tous mes droits de maternité. Je ne suis pas particulièrement pressée de retourner à la réalité du monde extérieure, ces quelques mois passés en tête à tête avec un enfant qui change presque chaque jour a rempli mes journées et le temps semble avoir filé entre les doigts depuis sa naissance.

Mais il faut y retourner. Pour se reconnecter avec la société. Pour continuer le chemin de l’expatriation en Angleterre quelque part arrêté un jour de février 2017. Pour retrouver un peu d’indépendance financière, le congé maternité n’ayant apporté que les revenus nécessaires pour palier aux besoins primaires de ma fille en soins et en équipement.

C’est là qu’il faut se réinventer. Je suis arrivée en Angleterre l’esprit léger, me disant que j’entreprendrai le chantier de ma reconversion professionnelle après l’accouchement. J’ai repoussé l’échéance en acceptant le compromis du travail « alimentaire » le temps de la grossesse, sachant lucidement qu’il ne conviendrait plus après la naissance de Layla.

L’expatriation ou plutôt les expatriations, forgent une nouvelle adaptabilité, une souplesse d’esprit insoupçonnée. Une fois sortie du moule culturel français et de son code du travail bien défini, je me suis mise à accepter des nouvelles conditions, des nouveaux modes de vie, des nouveaux compromis qui m’ont permis de maintenir le cap du dépaysement et de l’aventure.

Mais la parentalité bouleverse à nouveau ces acquis. S’adapter à un système différent, à un code du travail – en l’occurrence celui britannique qui demande une dévotion parfois totale à son emploi dans certains domaines pour des salaires souvent dérisoires – montre ses limites lorsqu’un petit être est venu s’insérer au milieu du paysage quotidien et des priorités. Il faut donc à nouveau réinventer sa vie, se réinventer comme le disent de nouveaux courants de pensée pour retrouver un soupçon d’équilibre entre les besoins d’adaptation au pays et les priorités familiales nouvelles.

Se réinventer

Malgré des nuits courtes et découpées, malgré une vie profondément bouleversée et des journées qui se suivent et ne se ressemblent jamais, il faut se ressaisir et restructurer ses pensées. Qu’ai-je dans ma hotte qui puisse servir de point de départ pour une carrière nouvelle ?  Mon parcours, éclectique et diversifié, s’il m’a procuré beaucoup de plaisir jusque là ne me garantit pas cependant à ce jour d’être qualifiable pour quelque emploi que ce soit dans cette nouvelle vie sédentaire.

Monitrice de plongée, géographe au master avorté dans sa dernière ligne droite, ancienne pompier volontaire, agent immobilier improvisée quelques mois, et collectionneuse d’emplois précaires dans l’éducation nationale, je peux me vanter d'une grande adaptabilité mais rien qui ne me permette de remplir les cases nécessaires aux emplois qui me semblent intéressants en terre anglaise.

Il me reste une dernière cartouche, mes compétences linguistiques. Elles sont bâties depuis ma scolarité pour certaines, autodidactes pour d’autres. Mais elles sont là, je suis une polyglotte des temps modernes : un produit de la génération du film l’Auberge espagnole et des programmes Erasmus. Je suis convaincue depuis mon arrivée en Angleterre que c’est un filon à exploiter mais je n’en ai pas encore trouvé la forme idéale.

Après être passée par de multiples filières traditionnelles : candidatures spontanées, inscription dans des agences de traductions, dans des écoles de langues. Après avoir essuyé de nombreux refus : vous n’avez pas le diplôme universitaire, vous n’avez pas la formation qualifiante. Je jette une bouteille à la mer. Et on la repêche. On me laisse enfin ma chance de montrer ma bonne volonté. Je suis recrutée dans une agence de Digital Marketing près de chez moi qui me donne de nombreuses missions de traductions, recherches, dans les 5 langues que je maîtrise. Le ciel se dégage. Il semblerait que j’ai fait une bonne pioche. Mes employeurs sont satisfaits, et je retrouve un peu de confiance en mon avenir professionnel dans cette nouvelle étape.

Et pendant ce temps…

Et pendant ce temps, Layla vit ses premiers émois à la garderie. Ses grand-parents britanniques, âgés et diminués physiquement ne peuvent plus assurer le rythme croissant des gardes. Ma situation professionnelle semble décoller et il faut rechercher une structure d’accueil.

La commune où je réside laisse le choix entre deux garderies. Une « traditionnelle », ultra sollicitée, et en plein centre. Une autre, de l’école Montessori, à l’extérieur et beaucoup moins prisée par la population locale. Si le contexte éducatif dans lequel Layla va évoluer est évidemment primordial et étudié de près, c’est l’argent qui dicte notre décision finale : heureuse coïncidence, Montessori offre les prestations les « moins couteuses ».

Le système de garderie anglais est un système entièrement libéralisé. Aucune aide à l’enfance n’est prévue avant l’âge de 3 ans (à l’aube de l’entrée à la preschool, équivalent de la maternelle) et les frais, plutôt importants, sont à la charge intégrale des parents. Dans mon cas et dans le cas de beaucoup de femmes qui m’entourent, les salaires d’emplois non qualifiés, ou d’emplois qualifiés rémunérés au lance-pierre, ne permettent non seulement pas de couvrir les frais de garde d’enfants mais parfois même font un trou dans le budget familial.

Malgré quelques appréhensions liées à notre intimité forcée de ces derniers mois dans notre petit coin de campagne reculé, Layla se montre très sociable et indépendante dès les premiers jours de garderie. Je la récupère à la mi-journée, barbouillée de biscuits et de paillettes, débraillée mais heureuse et lis avec joie son petit carnet où les assistantes maternelles tiennent à jour toutes ses activités et comportements.

L’automne arrive

L’automne arrive plus vite que son ombre en Yorkshire. L’hiver pointe déjà son nez à la mi-octobre. L’activité rurale ralentit, les champs de dépouillent de leurs dernières céréales de l’année, les arbres laissent tomber leurs feuilles aux premières tempêtes venues de Mer du Nord ou d’Irlande. C’est le début de la déclinaison de la luminosité. Nous sommes peu ou prou à la même latitude que le Danemark, ou bien encore de Minsk en Russie. Les jours vont se réduire en peau de chagrin et ne laisser que peu de répit pour engager quelque activité que ce soit en extérieur.

Après s’être réinventée, il faut aussi réinventer la vie avec un bébé qui a passé les 6 premiers mois de sa vie dehors ou presque. Le facteur climatique, s’il est favorable dans certains pays d’expatriation devient une réelle contrainte, ou pour en parler en des termes plus positifs, un réel défi lorsque le temps n’est pas à la faveur d’une vie en extérieur.

C’est l’occasion de glaner plein de jouets d’occasion dans les magasins de charité britannique, où de nombreux parents généreux et solidaires font des donations volumineuses et permettent à des familles avec des petits budgets de s’équiper décemment. Le salon, déjà petit, rétrécit à vue d’œil et Layla se contente de regarder le jardin par la fenêtre en rêvant des jours adoucis du printemps.


Ecrit pour Expats Parents par Lisa Fras, traductrice free lance et blogueuse pour Courrier Expat
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Si vous avez raté le premier épisode, il est ici : "De la grossesse à la parentalité, entre expérimentations et découvertes"
voici le second épisode : "Premier trimestre de vie : atterrissage et prises de contact"
et le troisième : "les 3 à 6 mois : premier voyage et rencontre avec la mer"