Ceux qui sont restés...

#etudesexpatriationaefe , #famille

Il se joue bien des choses dans une expatriation. Les plus essentielles sont les moins visibles. Les plus difficiles sont les moins dicibles.

Je voudrais évoquer aujourd’hui le rapport aux siens, aux «proches» dont on s’éloigne, dont on quitte le quotidien.

Je voudrais vous parler de la famille restée au pays, avec qui le contact peut être –heureusement- maintenu, mais avec qui la communication change et peut parfois manquer.

On ne se construit pas seul. On se construit dans une famille, dans des rapports qui s’établissent avec le temps et dans la durée.

L’adolescence est la première période qui remet tout en question, bouleverse l’ordre jusque là établi : crise identitaire nécessaire à la construction de soi, l’adolescence nous conduit à prendre de la distance, à regarder de loin, parfois un peu de haut, le modèle de vie de nos parents. Et c’est dur pour eux. 

Puis les relations s’apaisent, on s’affirme, on devient soi et tout le monde trouve sa place.

La naissance des enfants peut venir bousculer la tranquillité établie, surtout si celle-ci n’était finalement que de façade. Mais bon, le temps passe, et tout s’arrange.

Puis vient l’expatriation. C’est la rupture. Nouvelle crise identitaire, existentielle :: on devient autre quand on s’expatrie, on s’éloigne à nouveau. 

Ce choix, nécessairement égoïste, n’est pas immédiatement compris. Car si on est heureux, pourquoi partir ? Amère pilule à avaler : « mes chers parents je pars, je vous aime mais je pars », on connaît la chanson. Alors la « petite » famille s’éloigne, change de chemin, modifie les cartes et c’est toute la « grande » famille qui voit les règles changer.

Certains s’offusquent, d’autres font l’effort de soutenir : mais pour tous la même contrainte, celle de tout réorganiser pour reconstruire la tranquillité que le départ vient bousculer.

Il faut dire que la « petite » famille se construit un modèle à soi, refusant par son déracinement de perpétuer le modèle hérité. Parfois une nouvelle langue apprise vient marquer la différence. S’ajouteront tout ce quotidien que la « grande » famille ne partagera pas, ces repères qui seront différents… et cette nécessité pour la « petite » famille de ne compter que sur elle-même. Alors pour les (grands) parents, une nouvelle fois… c’est dur !

Nul doute que cet envol, cette prise de liberté doit être difficile à vivre pour celui qui est resté. Moi qui vous écris, je suis celle qui est partie, et je ne peux que m’imaginer le sentiment d’abandon que cela a pu peut-être pour les miens.

Et c’est cette IN-compréhension, cette impossibilité de se mettre à la place de l’autre qui peut consommer la rupture. Parce que quand l’expatrié-e aurait besoin d’être écouté-e, son mal être ne sera pas entendu comme il le souhaiterait. Car ce mal être ne fera écho à rien chez les membres de la « grande » famille. Parce que quand celui qui est resté aura besoin d’être écouté, il aura le sentiment de parler à quelqu’un d’une vie qui n’est plus tout à fait la sienne.

Il y a donc la famille avant et la famille après l’expatriation. Les schémas familiaux sont bousculés par la séparation, tout le monde est nécessairement touché et les repères peuvent être perdus. Dans l’absolu, il faudrait pouvoir en discuter vraiment pour trouver des solutions, mais souvent, l’essentiel ne se dit pas. Il y la peine de chacun, la culpabilité, ce douloureux dilemme qui oppose la dévotion pour les siens à son propre désir de se réaliser.

Voilà en quoi l’expatriation est nécessairement une crise identitaire, mais pas seulement pour celui qui part.

Alors il faut chacun développer des trésors d’indulgence, et réinventer le modèle familial.

Il importe par exemple que les grands-parents, malgré toute leur peine ou leur contrariété, se souviennent qu’il leur incombe à eux de tisser leur relation avec leurs petits-enfants car elle leur appartient, ils en sont responsables. Il importe aussi que les grands-parents acceptent que leurs enfants sont des adultes, et qu’ils sont libres de leur manière d’élever leurs propres enfants. S’ils pouvaient être fiers qu’ils fassent leurs propres choix et soient si courageux, cela rendrait l’expérience plus belle. Il importe que de son côté l’expatrié-e adulte se souvienne qu’il n’est pas responsable de la façon dont vivent les choses ses proches fâchés de le voir partir : il ne doit pas s’encombrer de la culpabilité qu’on voudra parfois lui faire sentir. Mais il devra toujours se souvenir que voir ceux qu’on aime partir n’a rien d’évident. C’est une déchirure, et il faut à chacun du temps pour se faire aux nouvelles règles du jeu.  Et peut-être qu’un jour, ce seront ses propres enfants qui lui diront : « mes chers parents je pars, je vous aime mais je pars… ».


Ecrit pour Expats Parents par Emilie Proust, professeur de français.
Son blog :
 https://madeleineetcupoftea.com/
Du même auteur : "Le blues de l'expat"