Il n’est pas rare de rencontrer des personnes expatriées traversant une phase de « déprime » après quelques mois d'expatriation. Connaitre les différentes phases de l'expatriation permet de mieux comprendre les différents états émotionnels que vous traversez lors d’une expatriation et surtout de ne pas perdre « espoir » lorsque vous avez le sentiment que « tout est difficile », que « c’était mieux avant » et que les doutes s’installent. Dans tous les cas, connaitre ces différentes phases vous permet de devenir un acteur véritable de votre expérience d’expatrié et de la vivre plus pleinement, plus sereinement aussi.
Ce que l’on nomme communément « les phases de l’expatriation » correspond en fait à la description de « La théorie de la courbe en U »[1]. Cette théorie permet de décrire le processus d’adaptation interculturelle des personnes inscrites dans un processus de migration dont l’expatriation fait partie. Ce processus d’adaptation génère de nombreuses réactions mettant parfois les émotions à mal. Ces réactions sont normales, ne durent pas et en comprendre le mécanisme aide à gérer ces états émotionnels passagers.
Quatre grandes phases vont ainsi façonner votre expérience d’expatrié à l’ajustement interculturel.
1 - Dans un premier temps, il est commun d’expérimenter une phase plaisante de la nouvelle culture nommée « lune de miel ». L’arrivée dans un pays d’accueil et la découverte du nouvel univers culturel se fait dans l’euphorie, l’enchantement ou encore la fascination et l’enthousiasme où tout apparaît stimulant et intéressant. Cette phase est décrite le plus souvent comme un moment tout à fait positif dans votre vie d’expatrié, où l’étranger, l’étrangeté, l’inconnu et la différence fascinent. Ce stade va correspondre à la découverte plaisante de nouveaux lieux, de nouvelles personnes, de nouvelles coutumes et à l’amusement de découvrir une culture différente de la vôtre. Même si, à ce moment-là, vous avez tendance à avoir recours à des actions inappropriées envers la culture d’accueil et recevez des signaux négatifs, ils ne pas reconnus et parfois ignorés.
Que faire durant cette phase ? Profiter, découvrir, vivre pleinement ces moments de bonheur parfois intense, souvent partagés en famille, se laisser aller à la perception de l’environnement nouveau. C’est aussi le bon moment pour stimuler vos sensations, perceptions et dynamiser votre énergie. Ce regard nouveau et émerveillé porté au pays découvert peut vous aider à stocker de bons souvenirs de vos premières impressions. Ces sensations de bien être vous seront utiles par la suite.
2 - Mais après un certain temps (quelques semaines pour certains, quelques mois pour d’autres), ces signaux deviennent trop accablants et ne peuvent plus être ignorés. Un certain « rejet » de la culture du pays d’accueil interviendrait à ce moment-là. Cette phase moins réjouissante représenterait l’apparition d’une crise chez certaines personnes tenues de s’adapter à un univers, somme toute, méconnu faisant remonter divers sentiments d’inadéquation, de frustration mais aussi d’anxiété et parfois de colère. C’est l’apparition du choc culturel, où le degré perçu de l’ajustement va alors diminuer. Le choc des cultures est souvent dépeint comme une expérience négative et ce, d’autant plus que l’excitation initiale disparaît. Les différences culturelles deviennent alors accablantes et de plus en plus présentes et stressantes, notamment en raison de l’incompréhension des règles qui pourraient permettre l’ajustement à la nouvelle culture. C’est sans aucun doute la phase la plus difficile à surmonter. C’est dans de telles circonstances que l’hostilité à l’encontre du pays d’accueil et à sa population peut parfois se développer. Les malentendus entravant quotidiennement les interactions apparaissent comme de véritables obstacles. C’est également le moment où certaines personnes ressentent ce qu’elles nomment le « mal du pays ». Les normes et valeurs connues sont intensément recherchées lors de cette étape, qu’elles soient celle du pays d’origine ou bien celles du pays dernièrement quitté. Vous allez commencer à douter de vos capacités à faire face au nouvel environnement, à adopter des attitudes négatives par rapport à ce qui vous entoure, aux difficultés, aux pertes de repères. Vous pouvez éprouver alors peur, frustration, colère, regrets, doutes, ressentiments, solitude, perte de confiance. A ces sentiments vont se rajouter une nécessité de faire des deuils, du siège de la société, d'un travail passionnant, de l'expatriation précédente, d'amis, des expériences précédentes.
Que faire durant cette phase ? Sachez que la plupart des expatriés s’ajustent graduellement et souvent « naturellement »à la vie à l’étranger. Il ne faut pas perdre de vue que la douleur engendrée par les comportements inappropriés est la première cause du choc culturel, mais qu’elle est également source d’adaptation. Une fois qu’une « faute culturelle » est commise, mieux reconnue, il y a alors plus de chance pour qu’elle ne soit pas répétée et ne devienne pas source de frustration ou d’embarras. En faisant des erreurs, en les reconnaissant, en observant comment se comportent les autres, nous apprenons et nous ajustons à notre pays d’accueil. Prenez conscience de vos difficultés car c’est cette prise de conscience va doucement permettre d'aborder la phase d'acceptation. Mais parfois, seul, cela peut ne pas être facile. Certaines personnes n’arrivent cependant jamais à affronter le choc des cultures, et retournent chez elles prématurément ou se réfugient dans la communauté expatriée, défendant la positivité du ‘Nous’ (les expatriés) contre la négativité du ‘Eux’ (les autochtones) de sorte que l’adaptation interculturelle devient difficile.
3 - Cette phase précédente déconcertante pour l’expatrié s’avère généralement positive dans la mesure où elle accompagne un processus d’apprentissage, ayant pour conséquence un développement personnel. Nous allons petit à petit nous intégrer et maîtriser les codes de la culture d’accueil. Nous allons gagner en autonomie, en connaissance et familiarité avec la nouvelle culture. Nous allons faire un compromis en intégrant les valeurs des deux cultures. Débute alors la troisième phase décrite par la courbe en U : l’adaptation graduelle par apprentissage de la culture étrangère que l’on nomme « l’ajustement ». L’adaptation au pays d’accueil se fait progressivement, en même temps que l’apprentissage des codes culturels. La langue et les façons de se comporter deviennent progressivement familières, sans pour autant être véritablement acquises. Dans cette phase, vous reconnaissez donc les difficultés et vous cherchez à les surmonter.
Que faire durant cette phase ? Votre regard sur votre environnement est en train de doucement changer, vos attentes se modifient et votre discours se transforme, entrainant une nouvelle motivation, des comportements différents, des envies et des projets. Sortez, échanger sur vos découvertes, liez de nouvelles amitiés. Ces activités vous permettront d’embrasser pleinement la phase suivante.
4 - À la fin de la phase 3, l’ajustement est généralement encore incomplet mais son degré augmentera naturellement et graduellement avec le temps. À ce stade, vous savez donc déjà comment agir de manière appropriée face aux différences culturelles et c’est alors la phase de « la maturité » qui commence. L’étrange devient progressivement ordinaire et vous devenez de plus en plus compétent dans votre nouvel environnement. Vous pouvez commencer à profiter pleinement de votre pays d’accueil, le choc culturel étant, à ce moment, normalement dépassé. La phase de maturité durera jusqu’à la fin de votre expatriation, dans le sens où vous cesserez jamais de vous perfectionner dans votre environnement d’adoption. Certains d’entre vous décideront peut-être de s’installer définitivement dans le pays d’accueil. La phase de maturité, se prolongera alors jusqu’à l’intégration et l’acquisition d’une personnalité et de comportements parfaitement biculturels.
Que faire durant cette phase ? Trouver ses repères, faire sa place à sa façon, se projeter dans l’avenir, envisager de nouveaux projets et communiquer son énergie à son entourage. C’est aussi et sans doute le moment d’épauler vos amis traversant une phase plus difficile que vous avez désormais dépassée. Appréciez pleinement votre nouveau mode de vie et ses différences pour fonctionner efficacement dans votre pays d’accueil et surtout profitez de nouvelles capacités.
Ce modèle présenté de la courbe en U est extrêmement utilisé par les coaches spécialisés en expatriation et dans les applications professionnelles gravitant autour de la gestion de la mobilité internationale. Si de nombreuses personnes expatriées éprouvent un choc culturel conforme au modèle de la courbe en U, ce modèle ne rallie pas toutes les écoles de pensée. Certains auteurs lui préfèrent le modèle inverse : celui de la courbe en U renversé. Les différentes phases du choc culturel se succéderaient à l’inverse de ce que nous venons de décrire. L’expatrié débuterait son expatriation avec un épisode compris comme plus difficile principalement dû au bouleversement engendré par le changement d’environnement et aux difficultés éprouvées à l’arrivée dans le pays d’accueil (2).
(1) Le processus d’adaptation interculturelle et la description la plus connue du choc culturel ont été décrits depuis quelques décennies comme suivant une courbe en U. C’est J.S. Black et M.E. Mendenhall (1991) qui ont théorisé pleinement cette approche. La théorie de la courbe en U brosse une succession de quatre étapes formant une courbe d’ajustement prenant la forme d’un U qui confronte le degré d’adaptation de l’expatrié au temps passé par ce dernier dans le pays d’accueil. Ce qu’ils nomment le « choc culturel » est en fait une expérience transitionnelle.
(2) Différentes études longitudinales, notamment celle de I. McCormick et T. Chapman (1996), montrent que la courbe remonterait ensuite progressivement pour atteindre une phase d’intégration et redescendrait en fin de séjour, avec l’appréhension du retour dans le pays d’origine, ce qui tendrait à confirmer le modèle et cette seconde hypothèse.
Article écrit pour Expats Parents par Julie Buguet, Docteur en Psychologie