Près de deux millions de Français ont fait le choix de partir vivre à l'étranger. La légende raconte que chaque femme qui suit son mari à l’étranger se transformerait en créature oisive partageant ses journées entre le tennis, la manucure, ses déjeuners entre amies et le tea-time dans un luxueux hôtel. Il arrive que derrière le mythe “sexy” de l’expatriation se cache de vraies souffrances : isolement, dépression, perte de repères, conflits identitaires, problèmes de couples qui en découlent, problèmes familiaux. Elles concernent l’expatrié, plus souvent le conjoint, que nous nommerons ici le “suiveur” ou la “suiveuse”.
Le terme «expatrié » signifie « loin de la patrie », et « patrie » vient de pater, le « père ». S’expatrier, c’est perdre ses repères, se séparer de sa terre, et implique donc un travail de deuil qui peut être plus ou moins bien vécu. Le problème spécifique de l’expatrié est qu’il lui est difficile d’en parler, de savoir à qui s’adresser. Il y a parfois la barrière de la langue, mais aussi et surtout : c’est un tabou. En effet, il apparaît indigne de se plaindre lorsque les conditions de vie du suiveur sont vécues par l’entourage resté dans le pays d’origine comme idylliques, avec une situation matérielle reconnue ou fantasmée comme enviable. A cette image de « vie dorée », il faut ajouter la distance et l’irrégularité des liens avec la famille élargie (voire les enfants dans le cas de famille recomposée) et l’entourage qui crée un terrible décalage. Sur place, la communauté des expatriés est souvent très restreinte et fonctionne sur un mode autarcique : tout le monde se connaît, sait tout sur tout… Mais dans le fond, les gens sont réunis par le contexte, par hasard et non vraiment par choix. Ils sont ensemble pour une durée limitée, 2 ou 3 ans. Ce microcosme souvent artificiel ne laisse pas toujours beaucoup de place à une parole sincère. Enfin, il y a parfois un manque de préparation : on est parti sans vraiment mesurer toutes les conséquences de ce changement de vie pour soi et surtout pour son entourage.
Le « suiveur » qui a « tout quitté » pour le projet d’expatriation, encore souvent la femme, a un rôle primordial. Nous prendrons ici pour exemple la femme en tant que suiveuse, en précisant que nous rencontrons de plus en plus d’hommes qui endossent ce rôle. Elle peut être vecteur d’intégration si elle vit positivement ce départ car elle dispose de plus de temps, comme elle peut devenir une source de soucis majeurs si elle vit mal cette situation. Certaines femmes, qui ont quitté leur profession, peuvent mal vivre cette subite inactivité, d’autant plus que tous les aspects de la vie quotidienne sont pris en charge par du personnel sur place. Au sentiment de deuil d’avoir quitté famille et amis s’ajoute une baisse de l’estime de soi. Car alors comment échapper au statut traditionnel de la femme au foyer, qui même dans les tâches quotidiennes, certes peu valorisantes, est secondée par du personnel (dont elle ne peut faire l’économie car on sait combien il est extrêmement mal vu de ne pas créer ce type d’emploi dans le pays d’accueil). De nos jours, une expatriation se prépare et il est aisé d’obtenir beaucoup d’informations au sujet du pays vers lequel la famille va être dirigée, grâce à Internet. Mais rien de peut les préparer à ce qu’ils vont ressentir, une fois arrivés dans le pays d’accueil. Plus la culture du pays d’expatriation est éloignée de l’expatrié, plus le risque de choc culturel est grand. Pour les “suiveuses”, l’expérience peut spécialement se transformer en véritable défi lorsque arrive le jour où leur mari disparaît pour une durée prolongée en voyage d’affaires/mission et que leurs enfants disparaissent dans le bus scolaire. Voici ce que me livrait une patiente: « Je n’avais pas anticipé le flot d’émotions qui me submergerait et le ressentiment envers mon mari qui avait franchi la porte vers une journée de travail qui l’attendait. Je ne m’attendais certainement pas à me sentir si désespérément sans sécurité, si bien que ma seule envie était de rester cachée dans mon lit toute la journée. »
Il y a trois principaux
facteurs précipitant derrière cette forme de choc culturel, qui ne cessent de
pousser de nombreuses femmes d’expatriés au-delà des limites de leurs zones de
confort :
- L’abandon d’une carrière : l’indépendance financière a maintenant
été remplacée par une totale dépendance vis-à-vis du mari,
- La perte de la
confiance en soi et de l’estime de soi, typiquement forgées autour de
l’identité professionnelle et du feed-back des amis, de la famille, causent de
nombreux symptômes tels que fatigue, anxiété, insomnie, colère et ressentiment
à l’égard du mari ;
- La perte de maîtrise et la crainte d’être mal perçue. Une
autre patiente me livrait le choc d’être dorénavant connue sous le nom de « Mme
- La femme de - qui travaille chez » et d’être identifiée par le terme non
moins flatteur de « trailing spouse »: « femme que l’on traîne derrière soi ».
Ces « suiveurs » incompris développent souvent une
culpabilité de ne pas réussir à s’épanouir dans ce qui est vécu par l’entourage
resté dans le pays d’origine, comme une « vie paradisiaque » et se vivent malheureusement,
dans cette aventure, comme des passagers clandestins ne correspondant à aucune
réalité, financière ou statutaire.
Nous espérons que cet article permettra
d’une part, aux « suiveurs » concernés de se sentir légitimés dans
leur mal être, afin qu’ils puissent laisser la place à une parole libératrice,
sans honte ou culpabilité, et d’autre part qu’il permettra d’éclairer
l’entourage sur place, et/ou resté dans le pays d’origine, afin de pouvoir
accompagner au mieux l’être aimé.
Marion
SAINTGERY, Psychologue clinicienne - Thérapeute de couple et de famille
Site professionnel
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