En 2006, alors que je m’apprêtais à partir vivre en Inde, j’ai lu le célèbre livre de David C. Pollock et Ruth E. Van Reken : The Third Culture Kids. C’est ainsi que j’ai découvert deux notions : TCK – Third Culture Kids et ATCK – Adult Third Culture Kid (c’est-à-dire un TCK devenu adulte)
Ayant bataillé presque quarante ans sur la question identitaire et d’appartenance, ce livre ne pouvait que faire écho à mon parcours d’enfant expatriée, élevée en Asie et au Moyen Orient.
Je vous propose aujourd’hui une rapide définition, selon cet ouvrage, de ce que sont les TCK et ATCK ainsi qu’un partage d’expérience.
Définition & Origine du terme TCK :
Le terme de TCK est apparu dans les années cinquante sous la plume de deux chercheurs américains ; autrefois réduits à une population d’enfants de militaires et diplomates, les TCK sont aujourd’hui en nombre croissant et leur typologie a évolué (avec l’arrivée de la mobilité internationale dans le monde des entreprises).
Les auteurs pensent que les TCK étaient auparavant une exception et, que dans le monde de demain, ils deviendront la norme : les Global Nomades seront mieux armés pour s’adapter. J’aime cette idée…
Un TCK est un enfant ou adolescent qui a passé une part significative de ses années de développement en dehors de la culture d’appartenance de ses parents. Élèvé ni dans sa culture d’origine, ni totalement dans la culture de son pays de résidence, ce jeune est exposé à une double, triple voire à de multiples cultures, d’où la notion de « troisième culture« .
Caractéristiques & Conséquences :
Deux caractéristiques définissent les TCK :
- Avoir été réellement élevé au contact de deux cultures différentes minimums (Évidemment, il y aura des écarts : un petit Français élevé en Suisse n’aura pas les mêmes impacts identitaires qu’un jeune occidental élevé au fin fond de Bornéo)
- Avoir vécu dans un monde à forte mobilité (généralement un déménagement de pays tous les trois ans). L’univers du TCK se caractérise par le fait qu’en une nuit et un vol en avion, tous ses repères disparaissent et il arrive dans une culture totalement différente de la précédente.
Quelques caractéristiques complémentaires se retrouvent chez une majorité d’entre eux :
• Etre différent des habitants de leur terre d’accueil, ce qui leur donne une perception plus ouverte du monde et une tolérance certaine. Pour utiliser un terme de coaching, leur « carte du monde » est plus large.
• Les TCK savent, qu’un jour, ils rentreront dans leur culture d’origine (ils ne sont donc pas des immigrants)
• Les TCK vivent généralement dans des conditions privilégiées en raison du statut professionnel de leur parent (Ce n’est pas souligné dans le livre, mais c’est de moins en moins vrai au XXIe siècle)
• Les TCK sont plus conscients de l’importance de leur nationalité que leurs pairs restés au pays.
• Leurs conditions de vie et diverses expériences multiculturelles leur ont donné des capacités d’adaptation au-dessus de la moyenne.
Une conséquence de cette enfance nomade est l’impression d’être de partout et de nulle part et pose donc une question identitaire qu’une vie entière ne suffit parfois pas à résoudre !
Les études ont prouvé que les TCK et ATCK se reconnaissent et qu’ils créent immédiatement une connexion entre eux : un américain élevé dans un pays d’Afrique noire se trouvera des tas de points communs avec un japonais élevé à Genève). J’expérimente ce genre de connexion régulièrement !
Par conséquent, l’une des questions les plus difficiles pour un TCK est « d’où es-tu » ou bien « c’est où chez toi? » .
Partage d’expériences TCK
Élevée en Asie et au Moyen Orient et rentrée en France à l’âge de 15 ans, j’ai effectivement expérimenté, souvent, cette terrible question : « Where are you from ?« . Jusqu’à presque 45 ans, la réponse m’a torturée. Chaque fois, je retenais ma respiration et ne savais que répondre.
Parfois, je répondais « je suis française » lorsque je voulais me débarrasser du sujet ou bien « from Parissssse ». Mais je sentais bien que cette réponse était inexacte et j’avais besoin de la compléter, ce qui prenait une bonne dizaines de minutes et de longs développements :
Alors … Euh… je suis née dans le Sud de la France mais j’ai été élevée en Asie et au Moyen Orient… Longtemps, je me suis vécue comme Indonésienne… Aujourd’hui, je me perçois une citoyenne du monde. J’ai travaillé 15 ans à Paris, puis j’ai vécu en Inde et maintenant je vis à Bangalore| Dubai | Varsovie … J’ai une grand-mère espagnole et une autre Italienne et deux grand-pères français… Alors, on peut dire que je suis Méditerranéenne… Mais bon en fait, je me sens partout chez moi à condition qu’il y ait un mélange culturel. Je suis une Global Nomade.
Ce n’est que récemment, à l’approche de la cinquantaine que j’ai résolu cette question identitaire…
Pour illustrer la question de l’ouverture sur la différence, je me souviens de mon fils cadet, qui, à la fin de sa première semaine de CE1 à Varsovie, est rentré de l’école avec des questions donnant lieu à cet étrange dialogue:
Le petit bonhomme de CE1 : « Maman, quand est-ce qu’ils rentrent tous de vacances ? »
Moi : -« la rentrée a eu lieu mon chéri ! Tous les enfants sont là ! »
Le petit bonhomme insistant : « Non Maman, il manque plein de gens ».
Moi, naïvement : « ah bon ? Est-ce que la maîtresse attend de nouveaux arrivants ? ».
Lui : « non mais je sais qu’il manque plein de gens parce qu’il n’y a que des beiges et il manque tous les autres. Quand est-ce qu’ils reviennent? »
A force de questionnement, j’ai compris que mon fils avait remarqué qu’il n’y avait que des enfants de type « caucasien » qu’il a qualifiés de « beiges » (la Pologne n’est pas réputée pour sa mixité ethnique) et que le mélange ethnique dans lequel il avait élevé lui manquait vraiment. Un environnement « normal », de son point de vue, était constitué d’un brassage ethnique important. En effet, ses meilleurs copains s’étaient appelés successivement Toya (Japonais) , Yanis et Martin (Français), Keylan et Ashita (Indiens), Justus (Allemand blond) ou encore Mohammed et Abdallah (Emiraties), Ditlev (Pays nordique) et Wan Ze (singapourien). Mon jeune TCK percevait donc le monde comme multiple avec des gens différents, sans jugement. L’absence de mixité en Pologne nous a d’ailleurs posé problème et causé un réel ‘manque’.
Quant à la connexion naturelle à d’autres TCK, je l’ai expérimentée lorsque je suis rentrée en France, à l’adolescence. Les premiers vrais amis que je me suis faits étaient d’autres TCK ou des immigrants : une franco algérienne, des réfugiés politiques iraniens, une Italienne élevée à Londres et à Paris, etc.…). Si je regarde la liste des vrais amis que j’ai conservés de ma période parisienne ou de mes années d’études supérieures, il ne reste quasiment que les ATCK. Les quelques rares exceptions sont des grands voyageurs et des gens qui font preuve d’une ouverture d’esprit et d’une curiosité au-dessus de la moyenne.
Aurore Lafougère, coach certifiée et formatrice
http://mosaicdynamics.com/