COVID 19 – Quand la fibre de l'expatriation est mise à mal.

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Le monde actuel est mis à l’épreuve de l’isolement. Chacun est confronté à sa propre vulnérabilité et à son impuissance face à la pandémie et aux décisions politiques de confinement qui évoluent d’un pays à l’autre. Certains décrivent avoir le sentiment de se faire voler des heures et des minutes de vie. A l’heure où le bonheur et le contrôle de son temps sont posés comme des dogmes, des marqueurs de réussite : « J’existe car je fais », voilà que nos libertés fondamentales nous sont retirées. Précisément la liberté de faire, d’aller et de venir, de rencontrer nos familles, nos amis, de nous rendre dans des lieux publics. Nos projets de vie se figent, dans l’attente du retour à la vie normale. Nous n’avons plus le choix : c’est un principe de réalité.

Pour l’expatrié, le confinement a ceci de spécifique qu’il le renvoie à sa décision d’avoir quitté son pays et sa famille. Il est celui qui est parti, donc absent, celui qui a fait le choix de cette vie d’éloignement, d’un relâchement de ses attachements filiaux et amicaux, pour des raisons professionnelles ou personnelles. Loin de ses racines, il se retrouve dans une double peine : celle du confinement et de la culpabilité d’être loin.

Le corps dans son pays d’accueil, l’esprit dans sa contrée d’origine : tel est, l’état d’esprit de nombreux expatriés dans cette période d’incertitudes, déchirés entre cette double appartenance à une terre natale et à un pays d’adoption.

« Je n’y croyais pas beaucoup au départ à cette histoire d’attachement au pays de naissance mais en fait, c’est vraiment ça, j’ai envie de rentrer chez moi »
Cécile, expatriée en Afrique.

Les expatriés restés en terre d’accueil sont suspendus aux nouvelles de chez eux, loin, mais informés en temps réel. Plus connectés que jamais, toutes générations confondues, ils se réfugient dans les bulles digitales pour à peu près tout : travailler, faire l’école aux enfants, garder du lien avec la famille, s’informer, se divertir dans sa langue, se faire livrer quand le pays le permet, et essayer de supporter l’isolement. Tous très différents, mais tous connectés sur les mêmes plateformes, réseaux sociaux, sites d’information, fers de lance de la pensée unique et de la bien-pensance : ils ne font pas l’économie de toutes les propositions normatives qui foisonnent sur la toile, sur la façon dont on devrait idéalement se comporter en confinement : modes d’emploi « soutenants », guides « du bon confiné », enquêtes, conseils, sites de « bonnes idées », sondages, témoignages qui s’emploient à dégager des axes de perspectives, de jugements et d’actions à mettre en place avec l’idée sous-jacente que ce serait le seul chemin possible pour un confinement réussi. Tout devient sujet à culpabiliser : être loin, ne pas s’occuper de ses parents, de sa famille isolée, ne pas atteindre la moyenne de rapports sexuels par semaine des couples confinés, être parent divorcé privé de fait de son droit de visite, ne pas faire assez de sport alors qu’il y a tant de cours en ligne, « ne rien faire » alors qu’il y a tant de sites de référence pour éviter l’ennui, manger plus alors que c’est « le moment rêvé pour faire un régime », … la liste est longue. Cette mode du conformisme touche bien évidemment l’ensemble des sociétés contemporaines, mais semble avoir une résonnance plus particulière, actuellement, chez les expatriés, déjà enclins à la culpabilisation. Encore plus exposés que d’habitude aux sollicitations à faire comme les autres, ils finissent par éprouver un besoin de remettre en question l’originalité de leurs choix, pour ne pas se trouver encore plus éloignés, pour survivre socialement dans un monde incertain.

Ces derniers mois, en thérapie, il semble que s’opère, chez un certain nombre d’expatriés, une évolution de la représentation qu’ils se font de l’expatriation, et qu’ils tendent à réévaluer leurs priorités.

« Je pensais vivre toute ma vie à l’étranger. C’était mon rêve. Mais ce confinement m’a fait comprendre que j’avais besoin de racines. J’ai envie de poser mes bagages et profiter de ma famille. Mes parents vieillissent. J’ai envie d’être là. »
Sandrine, expatriée aux États-Unis.

La vision attirante de l’expatriation semble perdre de son attrait. Les bénéfices d’une vie plus ordinaire, au contraire, redeviennent une priorité : resserrer les liens familiaux, pouvoir bénéficier de systèmes de soins de confiance, etc.

« Ce qui se passe en ce moment me fait davantage réaliser que l’on n’est rien, que tout peut basculer du jour au lendemain », me confiait Nicolas, humanitaire expatrié.

Il semble que la Covid-19 ait ravivé les notions de risques et d’incertitudes qui constituaient jadis l’expatriation. La fermeture des frontières, qui survient de manière sporadique, en fonction de la situation épidémique, les empêche de rentrer dans leur pays d’origine, et crée également une incertitude sur la possibilité de pouvoir revenir ensuite dans leur pays d’expatriation. C’est la nature même de ce choix de vie permettant à un expatrié de vivre entre deux pays, qui est remise en cause. De plus, être empêché de se rendre aux funérailles d’un proche, de présenter bébé à ses grands-parents ou de rejoindre son conjoint pendant de longs mois, ont des impacts lourds. A cela s’ajoute parfois la pression des parents, et/ou amis, exprimée ou ressentie, qui est souvent source supplémentaire de détresse et de souffrance. « Tant que tu seras célibataire et expatrié là-bas, je ne trouverais pas le sommeil » répète inlassablement cette maman à l’un de mes patients. Nombre d’expatriés, prennent par conséquent la décision de « rentrer » au pays, auprès de leur famille qui fait figure de dernier refuge.

Cette situation exceptionnelle de pandémie n’est pas un moment propice pour prendre des décisions d’une telle importance, par défaut ou sous l’emprise d’un conformisme aveuglant. Cette crise met à l’épreuve, non seulement nos capacités de décision, mais aussi nos capacités d’adaptation. Face à l’excès d’informations, ou encore aux informations contradictoires, il convient d’accepter la part d’incertitude et de lâcher prise. C’est en travaillant sur l’autonomie de pensée et en revisitant, pour chacun, son histoire singulière, ses motivations premières, qu’il est possible de sortir progressivement d’une culpabilité paralysante. Il faut absolument comprendre qu’il n’y a pas de famille normale, « idéale » puisque chacune crée sa propre identité, sa spécificité, et doit, pour cela, se démarquer des autres. De même qu’il n’y a pas de mode d’emploi du « confinement réussi », ni de profil type du « bon parent ou du bon enfant ». En famille, comme dans toutes les institutions, les décisions sont d’autant plus efficaces qu’elles sont prises dans un climat qui fait appel à la conviction plutôt qu’à la contrainte. La thérapie en ligne peut permettre, dans cette période d’isolement, un suivi, afin de travailler sur ces fausses perceptions culpabilisantes et s’éloigner des schémas normatifs qui bloquent la créativité et l’adaptabilité des individus, couples et famille dans ce contexte.


Marion Saintgery – Bourgarel, psychologue clinicienne, thérapeute de couple et de famille, spécialisée dans les problématiques de l’expatriation et l’accompagnement des humanitaires sur le terrain.
Son site : https://psychotherapie-enligne.fr/