Cette crise sanitaire est-elle une crise de soi ?

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Crédit image : Magdalena Zilveti Chaland

Les premières semaines de confinement, je me suis sentie désorientée. Brusquement la routine était interrompue. Je n’avais plus le droit de retourner dans le foyer dans lequel je faisais un stage. Je ne pouvais plus aider les enfants qui y logeaient, j’étais devenue à l’inverse un risque potentiel, un danger malgré moi. J’ai rapatrié ma fille qui étudie loin, tandis que mon fils a poursuivi son lycée depuis sa chambre. Nous nous sommes réfugiés dans notre nid. J’ai pris cela pour des simili vacances imprévues, comme un temps posé entre parenthèses. Deux mois de confinement plus tard, la parenthèse nous a transportés dans un nouvel espace à découvrir. Nous nous apprêtons à reprendre le cours des choses mais rien n’est plus comme avant. Que sommes-nous donc devenus ?

 

Les fleurs du mal-être

Les angoisses de maladie et de mort ont pimenté notre quotidien, marqué par l’inquiétude pour nos proches. La peur d’un danger invisible, ou même aussi visible que le risque de perdre son emploi, est devenu source de stress. Des débats animés, des prises de position, ou bien des théories conspirationnistes ont cherché à mettre un sens à une incompréhension générale, avec l’éveil de plusieurs questionnements existentiels.
A-t-on bien fait de partir ou de revenir ? Quand peut-on revoir ceux qui nous manquent ? Sommes-nous vraiment heureux ici ? De quoi demain sera fait ?

Une détresse psychologique a fait resurgir une angoisse primitive liée aux fondamentaux de l’existence décrits par la psychologie existentialiste. Nous nous confrontons de plein fouet à nos « enjeux ultimes » que sont la peur de la mort, de la solitude, de la perte de liberté, et l’absence de sens. (Irvin Yalom, « Thérapie existentielle », 1980)


Peur de la mort

La mort représente un chiffre dans les médias avec un décompte quotidien inexorablement en hausse. Un deuil collectif rencontre des deuils individuels, où la séparation qui se voulait temporaire devient définitive, sans même la possibilité de voyager en urgence, d’accompagner les proches malades à l’hôpital, ou bien de réaliser des rituels funéraires. Chaque personne est en danger ou bien peut entraîner la mort de l’autre sans le savoir. Déni, colère, négociation, tristesse, et acceptation ne sont plus uniquement les étapes du deuil réel, mais également celles d’un deuil anticipatif particulièrement anxiogène. La hantise d’une contamination ou de l’annonce d’un décès alimente un stress psychologique ubiquitaire.


Peur de la solitude

C’est dans la solitude où « chacun de nous arrive seul en ce monde et doit le quitter tout aussi seul » (Irvin Yalom) que naît le conflit entre un isolement absolu et un désir d’appartenance, de protection, de liens amicaux et amoureux. La soudaine quarantaine imposée à un niveau planétaire a exacerbé un sentiment d’isolement vécu non seulement par l’expatriation mais par des sociétés généralement de plus en plus individualistes. Le docteur Holt-Lunstad*, professeur de psychologie et de neurosciences, a étudié les effets à long terme de la solitude sur l’organisme. Elle a constaté une hausse de près de 30% de mort prématurée en cas d’isolement social prolongé sur plusieurs années, alors qu’à l’inverse, un réseau social riche stimule de façon significative la résistance de l’organisme. Sur un court terme, l’impact n’est clairement pas aussi fatal, en revanche la solitude alimente un sentiment de stress constant qui peut générer des troubles anxieux, avec perte ou hausse d’appétit et troubles du sommeil. Heureusement, des stratégies de survie ont été mis en place un peu partout, avec des apéritifs virtuels et des rencontres au balcon, afin de maintenir les liens sociaux indispensables au bien-être du psychisme humain. Ironiquement, les personnes les plus introverties ont mieux réussi à tirer leur épingle du jeu dans des sociétés comme les États-Unis qui mettent l’extraversion en avant.

 

Peur de la perte de liberté

C’est dans le pouvoir de liberté que l’individu se sent responsable de son monde, acteur de ses projets, garant de ses choix et de ses actions. Or, des directives gouvernementales oppressantes plus ou moins bien expliquées ont été données, créant frustration, colère et désarroi. L’interdiction de voyager et la fermeture des frontières ont été vécues par certains comme un piège. L’impossibilité de se distraire et d’aller normalement dans les lieux de loisirs comme une atteinte directe de nos droits les plus fondamentaux, créant des comportements d’insoumission ou de provocation plus ou moins conscients. Certains ont évoqué un sentiment d’asphyxie ou de claustrophobie particulièrement anxiogène. Des risques d’évasion artificielle sont apparus, avec hausse de la consommation d’alcool, de médicaments ou de drogues. De plus, des actes d’agressivité envers soi ou ses proches ont également augmenté, comme un exutoire de violence.

 

Quête de sens

La crise sanitaire actuelle est unique car elle est non seulement internationale, unissant chaque pays autour d’un combat commun contre un même ennemi invisible, mais aussi car elle perturbe nos croyances. L’addiction potentielle aux écrans est devenue un salut. S’isoler signifie protéger les siens. Le télétravail est louangé. Il y a une perte de contrôle de notre existence qui nous rend tributaires de nouvelles règles subies. Or, c’est dans l’absence de sens que l’individu se doit d’en créer un pour maintenir l’espoir et la confiance. Un processus créatif de survie a émergé. Certains se sont portés volontaires au jeu des photographies familiales devant leur portail pour symboliser leur cohésion domestique durant cette période tourmentée. D’autres ont profité de l’occasion pour cuisiner copieusement, comme un retour régressif au réconfort oral au sein du foyer. A l’image de l’éparpillement de notre routine en mille pièces dispersées, certains ont essayé de recoller les morceaux de puzzle avec patience et détermination. Quel que soit le passe-temps privilégié, une volonté de maintenir un semblant de normalité a fomenté raison gardée. A l’inverse, des discours sectaires ont également éclos, avec hausse de comportements racistes et xénophobes, afin de désigner des coupables, comme réponse arbitraire à notre confusion.


Et demain ?

Nous assistons actuellement à la phase de dé-confinement, de façon plus ou moins progressive selon les pays, avec l’assurance néanmoins que la crise va revenir et que la pandémie est non maîtrisée. Le deuil, l’anxiété et la dépression continuent d’affecter avec force les individus et les communautés. Un « syndrome de la cabane » a été évoqué par la psychologue Evelyne Josse, comme l’angoisse de ressortir de chez soi et de reprendre une vie normale, alors que la nouvelle normalité qui est en train d’éclore est encore une notion floue et non définie. Le monde a changé, mais nous ne savons pas encore comment. Le phantasme d’un vaccin tout puissant ou d’un médicament miracle permet de garder espoir pour un futur apaisé. En même temps, il est possible de résister à nos peurs. Nous pouvons compter sur notre capacité à inventer du renouveau afin de reprendre contrôle. A travers la créativité, l’imagination, et le rêve individuel et collectif, nous pouvons combattre nos tourments, tout en renforçant notre résilience. La perte du connu peut être présage de renouveau.

 

Comment faire face ?

Dans un premier temps, il est important de prendre soin de nos besoins réels. La « pyramide des besoins » selon Maslow explique quel besoin assouvir avant de pouvoir satisfaire le besoin situé au niveau supérieur. Ainsi, les besoins physiologiques que sont le fait de pouvoir se nourrir, de se loger, et de se déplacer, sont des besoins de base. Lorsqu’ils sont suffisamment stables, ce sont les besoins de sécurité qui vont nous préoccuper ; on voudra alors se sentir bien et en confiance dans notre environnement. Il sera difficile de s’investir dans la réalisation de besoins secondaires que sont les besoins d’appartenance, d’estime personnelle, ou de réalisation de soi, alors que nos besoins primaires sont encore en jeu. Avec indulgence et courage, il est important de fortifier nos bases, sans chercher à sauter les étapes. Le traumatisme ressenti aujourd’hui par le chamboulement de notre quotidien requiert de réparer les fissures éventuelles dans nos fondations.

Le ralentissement imposé peut également être une opportunité pour faire une pause et lâcher prise afin de savourer l’instant présent, aussi complexe soit-il. Dans un plaidoyer pour l’inaction écrit il y a quelques années, je prônais le droit de ralentir la cadence en laissant libre cours à la rêvasserie, en laissant décanter les actions passées pour mieux en savourer les saveurs, en exprimant l’être en lieu du faire, et en se reconnectant aux valeurs essentielles. Le confinement permet de remettre à plat ses priorités et faire le point. De plus, à travers des activités de respiration, de yoga, de méditation, l’anxiété est combattue et les pensées sont clarifiées.

Faire face, c’est également braver l’inconfort, accepter la tristesse, la colère, et toutes ces émotions négatives qui expriment différentes facettes de notre réalité. Nous avons le droit d’être en colère pour les projets avortés. Nous pouvons être inquiets pour notre avenir. Nous pouvons avoir peur pour nos proches. Nous pouvons souffrir de ne pas voir ceux qui nous manquent. Paradoxalement, admettre ce qui ne va pas permet de mieux apprécier ce qui va. Plus nous prenons conscience des différentes nuances de nos émotions, plus nous pouvons les accueillir et évoluer avec bienveillance et compassion vers une nouvelle direction plus satisfaisante.

Pour faire face à la peur de mort, existe la possibilité de savourer l’instant présent. Pour contrer la peur de la solitude, on peut porter intérêt à son prochain et s’investir dans des actes de générosité qui renforcent les liens sociaux. Pour affronter la peur du manque de liberté, existe la gratitude pour ce qui est et ce qui plaît. Afin de retrouver ce qui fait sens, existe la boussole de nos valeurs. Quand nous ne pouvons pas changer les événements, nous pouvons toujours changer notre façon de les percevoir et d’y réagir. Quand le monde change, les clés pour s’ajuster se trouvent ainsi dans l’émergence d’un soi plus résilient.

* https://www.sciline.org/media-briefings-blog/social-mental-covid


Ecrit pour Expats Parents par Magdalena Zilveti Chaland, psychologue-coach
Auteur du livre « Réussir sa vie d’expat» (Éditions Eyrolles)
Son site : www.intelligence-nomade.com