Quand le confinement sépare les familles

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Une partie de la famille en Europe, l’autre en Asie ou en Afrique… Pour les familles expatriées, voir les différents membres de la famille répartis sur plusieurs pays, voire continents, est chose commune, notamment lorsque les enfants commencent à quitter le nid familial pour aller faire leurs études. Mais, avec la crise du COVID-19, la séparation a gagné un caractère imposé, amenant des familles à ne plus se voir et ce pour une période indéterminée.


Dans certains cas, les mamans et leurs enfants se sont installés en Europe, alors que les pères sont demeurés dans leur pays d’accueil. Ainsi, Elisa et Alejandra, venues voir leur famille l’une de Chine pour les vacances de Noël et l’autre d’Italie pour le Carnaval, sont restées sur place. De manière imposée pour Elisa, puisque son mari a réussi à rejoindre Wuhan juste la veille du jour où « la Chine fermait la ville de Wuhan ». Entretemps, la France ferme ses frontières, puis c’est au tour de la Chine de faire de même. Depuis, elle est coincée en Europe avec ses deux filles de 5 et 8 ans. « Maintenant il faut absolument avoir une green card, une entreprise, être scientifique ou travailler pour une organisation humanitaire pour pouvoir retourner en Chine, ce qui n’est pas notre cas », explique-t-elle.


Partir ou rester ?

Pour Alejandra, cela a été un choix, car durant leurs vacances en Belgique, l’Italie a annoncé la fermeture des écoles. « Par précaution, j’ai demandé à travailler à mi-temps en télétravail. Avec mon conjoint, nous avons toujours eu une chose en tête : rester/aller là où notre fils serait le plus à l’abri de tout risque de contagion. D’autant plus qu’il pourrait faire partie des catégories à risques ». Ainsi, les vacances se prolongent en confinement pour Alejandra et son fils, alors que son époux, Michele, retourne à Parme pour le travail. « Comme le système sanitaire belge n’était pas en crise, nous avons décidé de rester séparés en attendant que la situation se normalise à Parme », confie ce dernier.

C’est aussi en Belgique que sont venues se réfugier Anne-Sophie et ses deux filles, alors que son mari est resté à Freetown, au Sierra Leone. Un peu dans l’urgence. Car a priori il n’y avait pas de raison pour elles de s’éloigner. Très organisé depuis l’épidémie d’Ebola, « le pays avait anticipé et mis en place des mesures sanitaires depuis janvier » explique Anne-Sophie. Son père, ancien médecin tropicaliste ayant vécu de nombreuses années en Afrique, leur conseillait même « de rester là où la situation était plus maîtrisée qu’en Europe ». C’est l’appel d’une amie qui fait basculer la vie de la famille en une après-midi : son fils, dont Anne-Sophie s’était récemment occupée, « avait été en contact avec le 2e cas de personne atteinte du coronavirus au Sierra Leone » et il en présentait lui-même des symptômes. La donne n’est plus la même car la famille a été exposée. Anne-Sophie ayant récemment eu des problèmes de santé et son pays d’accueil disposant d’une structure de santé très limitée, il « n’était pas question de jouer à la roulette russe ». En urgence, la mère et ses deux filles parviennent à obtenir des places dans un avion affrété par le gouvernement allemand, car pour son époux, « impossible de séparer la mère de ses deux filles ».

La situation de Mathieu est un peu différente. Bachelier depuis quelques mois, il était, à tout juste 18 ans, parti fin janvier au Canada afin d’étudier jusqu’en mai dans une high school. « Durant le spring break, pendant la 2e quinzaine de mars, on nous a dit qu’on ne retournerait pas à l’école. Au début ça ne m’a pas trop dérangé, parce que la majorité de mes amis restaient. Mais en une semaine, ils sont finalement presque tous partis. » Voici donc Mathieu coincé au Canada, avec des parents au Brésil et une soeur au Portugal…

 

Gérer la distance

Le jeune étudiant vit relativement bien cette période de séparation : « Je suis dans une famille d’accueil, donc pas tout seul. Et les règles de confinement n’empêchent pas non plus totalement de sortir ici. » Il a aussi l’espoir de rejoindre sa soeur en France, à la mi-mai.

Pour les autres, la situation ne s’avère pas toujours évidente à supporter. Luisa, mère divorcée de deux adolescents, est confinée avec sa fille à Lisbonne, alors que son fils de 14 ans est à Dubai, avec son père. L’absence physique de son fils se fait de plus en plus pesante. « Ne pas pouvoir le toucher ou le sentir, cela commence à vraiment me manquer », confie-t-elle. Sans compter la part d’inquiétude qui l’a secouée au début du confinement : « Et s’il se passe quelque chose là-bas ? Si son père attrape le coronavirus ou qu’il a un accident en allant faire les courses ? Mon fils de 14 ans serait seul là-bas. Au début, je n’en dormais pas. Mais désormais, je préfère ne pas y penser ».

Le mari d’Anne-Sophie et Michele doivent de leur côté gérer un confinement dans la maison familiale en solitaire. « Etre seul à la maison est absolument surréaliste », déclare ce dernier. « La maison semble vide… Heureusement que la technologie existe, sans quoi la séparation serait insupportable. »

A l’heure de la séparation Skype, Zoom, WhatsApp et autres applis de communication en ligne semblent en effet être les grands agents aidants pour maintenir le contact familial. Dans toute les familles, les appels et envois de photos, de vidéos sont quotidiens. Les filles d’Elisa partagent ainsi messages et émoticones avec leur père. De son côté, le mari d’Anne-Sophie, en plus d’appeler ses filles tous les jours, se lève tôt le matin pour aider l’une d’entre elles à faire ses devoirs de maths, avant de se rendre au travail. « Avec les filles, j’en ai parlé ouvertement : il fallait trouver une manière d’inclure leur père dans notre vie de tous les jours ». Il y a deux ans, la famille avait déjà vécu séparée pendant cinq mois, pour des raisons professionnelles, et le retour à la vie commune n’avait pas été aisé. « On savait qu’il fallait s’adapter autrement cette fois-ci », insiste Anne-Sophie.

 

Dis, quand reviendras-tu ?

Pour chacun d’entre eux, une grande inconnue. A savoir, quand il leur sera possible de retrouver leurs proches. Le fils d’Alejandra, qui a un peu plus de 5 ans, commence à « être triste » et à trouver le temps long loin de son père. Luisa voit aussi s’approcher les vacances d’été, sans aucune certitude que son fils ne puisse la rejoindre : « Nous n’avons aucun horizon de date. C’est difficile quand on ne peut pas se projeter ». Même son de cloche pour Anne-Sophie, qui, en partant, croyait « dur comme fer que la séparation ne serait pas trop longue ». Alors, en arrivant en Belgique et en réalisant la situation, « l’atterrissage a été très violent ».

Elle a pourtant commencé à voir les choses de manière philosophe : « Nous n’avons pas de prise sur ces événements. Il faut donc lâcher prise ». Du fait de l’activité de son mari dans le sport de haut niveau, Elisa et ses filles ont déjà vécu de longues périodes de séparation d’avec leur mari/père. Si le voir reprendre une vie normale en Chine lui fait un peu envie, elle veut aussi mettre à jour le bon côté de la situation. « ll suffit juste de temps en temps de se dire qu’on a de la chance d’avoir un salaire qui tombe encore, contrairement à pleins de Français qui commencent à être dans des situations très compliquées. Nous notre situation compliquée c’est d’être séparés. Mais on sait qu’après chaque séparation, on est super contents de se revoir. J’ai décidé de le prendre de manière positive, qu’on se retrouve tout le temps et qu’on soit heureux d’être ensemble. »


Ecrit pour Expats Parents par Amélie Perraud Boulard, coach pour ados et praticienne en psychopédagogie positive.
Son site : https://www.psychopedagogie-amelieperraudboulard.com/