Deuil en expat : quand on ne peut pas se rendre aux obsèques

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La distance fait partie de l'expatriation. Mais quand les choses tournent mal, cette distance peut devenir plus difficile à vivre et à accepter. Rajoutons le blocage mondial imposé par l’épidémie de Covid-19 : plus aucun avion pour réduire cette distance, et les retrouvailles avec ses proches deviennent tout simplement impossible.


Pour Christelle, les retrouvailles attendues n’étaient pas joyeuses, mais elles étaient essentielles.

Après un an « avec une épée de Damoclès » au-dessus de la tête de son père, le couperet est tombé brutalement. Christelle savait son père malade, et multipliait les aller-retour de Singapour à la France. Pourtant la mort prend toujours par surprise, et son père s’en est allé brusquement sans que personne ne s’y attende, même des médecins, le 15 mars 2020. « Mon prochain vol était prévu pour le 16 mars ».


« J’ai assisté à l’enterrement de mon père depuis mon canapé. »

Les obsèques jouent un rôle très important dans le processus du deuil. Elles aident à prendre conscience de la disparition de l’être cher. Par la réunion des proches autour du défunt, participant à un même rite – religieux ou non – qui sert à marquer le départ et à préparer l’absence, les obsèques sont l’une des premières étapes de la guérison de la personne endeuillée. 

Pour Christelle, cela ne s’est malheureusement pas passé comme cela :

« Je n’avais jamais envisagé de ne pas être là pour les obsèques de mon père. Même en étant si loin, j’avais prévu que je sauterais dans le premier vol disponible, et depuis Singapour c’était chose facile.» 

« Le décès de mon père fut plus rapide que ce que les médecins avaient prévu mais sachant que sa maladie était incurable, la tristesse, même si très présente, était supportable. Etre coincée loin de ma famille, dans cette situation internationale surréaliste, à suivre l’actualité française au milieu de la nuit pour savoir si je pourrais partir, l’actualité singapourienne en journée pour savoir si je pourrais ensuite revenir chez moi, était épuisant et émotionnellement plus difficile à vivre que la perte de mon père. Prendre la décision de ne pas partir fut extrêmement difficile. »


Le COVID-19 a transformé ces obsèques en scène surréaliste.

C’est un voisin proche qui a filmé l’enterrement par WhatsApp pour que Christelle suive sa famille au cimetière « en direct » depuis son salon.

« Confinement oblige en France, seule la famille très proche fut autorisée au cimetière. Apercevoir ma mère avec un masque, à un mètre de mon frère lui aussi masqué, fut une image très violente à voir. Le manque de contact physique, le cimetière vide étaient criants de douleur et de tristesse. »


Etre séparé de sa famille au moment des obsèques est un traumatisme.

L’absence de celui qui meurt n’est pas ressentie de la même manière quand on est expatrié. On ne voyait déjà plus la personne régulièrement, on était comme habitué à son absence. Mais la mort n’est pas une absence comme les autres : et le deuil doit avoir lieu.

« La situation sanitaire internationale a rajouté une douleur supplémentaire au deuil à vivre en expatriation » explique Christelle. Elle éprouve le besoin de se rendre sur la tombe de son père pour réaliser l’absence, et ne sait pas quand elle pourra aller se recueillir.
Le recueillement, c’est étymologiquement cette étape où l’on se recentre sur soi, où l’on s’apaise aussi. Le recueillement est un acte aussi bien solitaire que familial : se recueillir ensemble, c’est se consoler et partager la douleur pour la rendre vivable et supportable. Christelle n’a pas pu physiquement prendre sa place dans cet événement familial.


Les obsèques sont traditionnellement le moment des retrouvailles en l’honneur du défunt.

C’est aussi à cela que sert un enterrement : se réunir avec ceux qui ont partagé la vie du défunt, l’honorer chacun de sa présence et de ses discours, et pour la famille, rassembler les images de leur proche qui était dans le cas de Christelle, un père, un mari, un ami, un oncle, un collègue, etc. Heureusement pour Christelle, sa famille a soutenu et compris son choix. L’épidémie du Covid-19 représentant un risque réel pour la santé (et donc la vie) de tous ; le père de Christelle lui-même ne souhaitait pas voir sa fille venir lui rendre visite. 

Cette absence de Christelle a rendu palpable une réalité : on doit tous se protéger les uns les autres.

C’est un peu comme si l’arrière-plan avait pris le devant du décor, plaçant les situations individuelles, et la peine individuelle, derrière l’épidémie mondiale. Alors Christelle ne se sent pas coupable : « j’ai fait tout ce que je pouvais pour rentrer mais plus les jours passaient et plus il y avait d’obstacles. Au final j’ai bien fait de rester chez moi car les frontières de mon pays d’accueil sont désormais totalement fermées. »


Un deuil rendu étrange quand on est coincé à l’étranger.

« Lorsque j’ai su que je ne rentrerais pas en France pour les obsèques, j’ai contacté une amie qui fait partie de la paroisse francophone et elle m’a transmis les coordonnées du prêtre. Je l’ai rencontré quelques jours après et j’ai pu préparer avec lui une cérémonie qui a eu lieu le même jour que l’enterrement en France dans une petite chapelle très chaleureuse. Cela m’a beaucoup apaisée et j’ai pu aussi être dans l’action. (...) Avec mon fils nous avons fait imprimer une photo de mes parents, nous avons acheté des branches d’orchidées blanches et des bougies. Mon fils a fait un dessin et un nœud en ruban « pour être toujours attaché à Papi ». Ces rituels nous ont permis d’honorer mon père, selon moi. »

Bloquée dans son pays d’accueil, Christelle a donc du faire preuve d’imagination pour compenser son absence et se sentir liée à son père. Malgré tout, le fait de ne pas avoir assisté aux obsèques officielles rend le deuil plus difficile. « Je me surprends à oublier que mon père est décédé, cela me revient en pleine figure quand je pense à la prochaine fois que je pourrai aller en France », confie Christelle.


L’histoire de Christelle est une histoire d’amour et de rendez-vous manqué. Dans notre société qu’on croit si connectée, on oublie trop souvent que l’amour est aussi physique et se nourrit de contacts, d’embrassades, et de larmes partagées. L’histoire de Christelle nous rappelle aussi, qu’installés dans nos routines à l’étranger, dans un chez-nous lointain, mais un chez-nous tout de même, parents expatriés, nous restons des voyageurs. Et quand les tumultes marins nous isolent du port, du corps de nos familles, il nous reste les mots, les symboles, et la force de notre amour pour nous consoler de rester seul quand on voudrait accompagner. Tout comme le monde guérira de ce virus, Christelle et tous les autres guériront de ces obsèques manquées. Resteront un souvenir, une douleur, que le prochain retour pourra, bientôt on l’espère, apaiser. 


Ecrit pour Expats Parents par Emilie Proust, à la demande de Christelle Ora-Trombetta.
Le blog d'Emilie : https://madeleineetcupoftea.com/