Partir ou rester ? Un choix cornélien face au Covid-19

Les expatriés vivant en Afrique commencent à montrer des signes d’inquiétude. Si le continent est encore, officiellement, faiblement atteint, son système de santé n’est souvent pas adapté pour affronter la maladie. Partir ou rester, c’est la grande question que se posent, aujourd’hui, bon nombre des patients expatriés que je reçois, d’autant que la riposte à la pandémie ne prend pas la même forme d’un pays à l’autre. Partir et se rapprocher des siens (sans pouvoir les atteindre souvent), ou rester au risque de devoir possiblement affronter un climat anti-étrangers et l’aléa sanitaire de pays aux systèmes de soins très fragiles. 

Au problème de gestion du confinement en lui-même s’ajoute souvent la question de son lieu et de l’éventualité d’un rapatriement/évacuation. En effet, la suppression en cascade des liaisons aériennes avec l’Europe et la fermeture des frontières nourrit la peur d’être pris au piège en Afrique et certains départs massifs, décidés ou subis ont été observés ces derniers jours. Une de mes patientes, vivant en Afrique de l’Est, a dû faire ses bagages du jour au lendemain, sommée de rentrer au pays par l’entreprise de son mari, lui-même assigné à rester sur place.

L’angoisse se lit sur les visages qui apparaissent successivement sur mon écran de consultation. Partir, mais pour aller où ? Beaucoup d’expatriés n’ont nulle part où aller. Certains ont mis leurs affaires dans un garde meuble en partant en poste à l’étranger, ou ont mis leur bien immobilier en location pendant leur absence, rendant leur pied à terre inaccessible. La quarantaine obligatoire se fait en chambre d’hôtel, la plupart du temps. Et ensuite ? L’hospitalité des amis ou de la famille engage une responsabilité considérable. D’autre part, envisager de quitter sa maison dans le pays d’expatriation est aussi source d’inquiétude dans l’éventualité où la situation venait à s’aggraver. Comment ne pas avoir le sentiment d’abandonner ses proches, ses collègues expat ou locaux restés sur place, en rentrant au pays ? Comment protéger ses biens propres en cas d’émeute ? 

« Actuellement, il est plus sécure de rester, me disait une patiente au Mozambique. Je ne me vois pas errer dans les aéroports en ce moment, d’autant que rentrer représente 25h de voyage. Le foyer de l’épidémie est là-bas, pas ici. Mais quand la tendance va s’inverser, et que les ressources alimentaires et sanitaires vont manquer, nous serons alors encore plus en danger qu’en Europe. Et si la population locale nous désigne comme responsables ? »

Choisir de rester est une chose. Mais l’évolution du contexte local, notamment la dégradation de la situation sanitaire, sécuritaire ou politique, peut imposer de réviser ses plans. « J’ai l’impression de vivre avec une bombe à retardement » me confiait une autre patiente en Angola. Les systèmes de santé ici ne sont pas accessibles à tous. Si vous n’alignez pas les billets cash sur le comptoir, exigés avant toute entrée dans la salle d’attente, ils vous laissent crever sur place. On essaie d’expliquer aux locaux les gestes indispensables à appliquer, mais la promiscuité est omniprésente dans leur système de fonctionnement : taxis collectifs, minibus. Et quid du manque d’eau ?! comment se laver les mains ? » En effet, l’Afrique entretien une culture du partage, et de solidaritéSe confiner ou se replier sur soi-même est peu admis. Ni financièrement, ni culturellement. De quoi s’inquiéter pour la suite des évènements en Afrique. 

Dès lors, que faire ? Cela peut générer beaucoup d’angoisse et une grande perte de repères. Autant de questions, qui sont grandement discutées en séance ces derniers jours, la thérapie en ligne offrant une possibilité de distanciation, dans ce contexte de confinement. L’inquiétude, la lourdeur du repli, l’isolement, et son pendant de promiscuité, les conflits de loyauté liés à la décision de partir ou rester, sont autant de thèmes qui sont travaillés en séance, permettant ensuite un meilleur contrôle des émotions et des prises de décision plus sereines. 


Marion Saintgery, psychologue clinicienne, thérapeute de couple et de famille, spécialisée dans les problématiques de l’expatriation et l’accompagnement des humanitaires sur le terrain.
Son site : https://psychotherapie-enligne.fr/