« Golden expats », et si vous perdiez tout ?

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Crédit photo : Virginie PM

Avez-vous déjà envisagé que l’expatriation, gage de tant de confort divers pouvait également vous mener brutalement à votre perte et celle de votre famille ? Difficile d’y croire et pourtant si réel pour certains d’entre nous. Je vous propose de partager ici des témoignages de vie glanés au cours de mes sept dernières années d’expatriation. Il ne s’agit pas d’en décourager certains mais au contraire d’exposer ce qu’on ne vous dira peut-être jamais : un tabou en quelque sorte et que nous devrions tous connaître avant de faire notre choix : celui de partir de « chez nous » et de quitter les siens, que ce soit temporairement ou bien définitivement.


Expatriation : pour le meilleur…. Et pour le pire ?

Depuis quelques mois, vous avez certainement vu fleurir bon nombre d’appels à témoignages pour des reportages TV mettant en avant la vie d’expats : « Tout plaquer pour vivre heureux », « Tout quitter par amour », etc. La question de la fuite, de l’exil y est implicitement posée, ceci dans le but ultime et nirvanesque de se réaliser pleinement, d’atteindre les conditions de vie rêvées ; celles-ci même que notre beau pays, la France, ne nous permet plus forcément d’atteindre dans ce climat actuel de tourmente globale. 

La question sous-jacente ici est donc celle d’envisager l’expatriation, non plus simplement comme une opportunité professionnelle hors norme, nourrie de challenges et de découvertes en tout genre. Devenir expatrié s’imposerait comme LA voie salvatrice de notre condition humaine à bien des égards. Ce changement de prisme est tout à fait significatif de notre rapport à l’immédiatement de nos jours.

Parallèlement à cela, les revues spécialisées n’ont de cesse de souligner à quel point le statut des contrats de travail des expatriés tend à la précarisation. Le fameux « contrat en or » entre en voie d’extinction à l’international pour le monde des entreprises, restant dans l’immédiat l’apanage des organisations internationales ou des services diplomatiques. Les fameux détenteurs de ces contrats de travail « all inclusive » s’y agrippent alors que les autres vivent une réalité bien différente.  


Expatriés : face à la tourmente et au dénuement matériel ?

Et pourtant, ces fameux contrats décrochés pour des grands groupes ne nous placent pas à l’abri de tout, en sécurité absolue. Il y a certes des failles entretenues à la fois par le Droit international mais aussi intrinsèquement liées au lieu de résidence, concourant parfois à la chute individuelle et par là-même familiale. Bien heureusement, travailler à l’Etranger ne se résume pas à cela et peu d’entre nous expérimentent ces épreuves. Toutefois, lorsqu’elles transpercent notre quotidien, l’amertume entraîne son lot de réflexions et aussi de déceptions. C’est ce que j’ai pu constater auprès de mes amis expatriés à l’International, rencontrés bien loin de Paris… et dont les récits pourraient nourrir de beaux scenarii de films à succès.

Qui n’a pas vu les images de ces familles ayant tout perdu, évacuées de leur pays d’accueil en proie aux conflits armés ? Nous les avons tous vus, nous savons que cela existe. E. a expérimenté cette dure réalité hors de France où son mari, elle et leurs six enfants vivaient heureux. Malheureusement, les tensions ont grandi de jour en jour et bientôt l’heure de l’évacuation a sonné. Il a fallu partir « en un instant » : c’est ainsi qu’elle a ressenti ces quelques heures volées pour mettre l’essentiel d’une vie dans une unique valisette. La question de savoir « où fuir » s’est posée. Quand on n’a rien dans son pays d’origine… où aller ? Autant dire que cette préoccupation a été balayée par une autre, bien plus douloureuse et amère : celle du maintien sur place de son mari. L’entreprise doit fonctionner, même en mode dégradé… Elle part donc seule avec ses enfants pour le prochain lieu d’affectation hypothétique de son mari. Un autre pays d’accueil, une terre inconnue, où ils vivront seuls, elle et ses enfants, pendant plusieurs mois dans un appartement de deux chambres alors qu’ils sont sept. Avoir un toit, la vie sauve, c’est essentiel, une base. On dispose alors d’une gratitude immense et on remercie pour tout. 

Toutefois, quand la situation d’urgence se transforme en une « normalité » quotidienne, on finit par être rattrapé par la réalité financière. Comment se nourrir et aussi ses enfants quand le salaire ne suffit plus pour les doubles charges. Comment assumer les frais de scolarité à distance aussi ? En somme, comment vivre dans cette situation d’extrême précarité lorsque les avances personnelles de frais ne sont plus envisageables ? La gestion des familles dans ces périodes de troubles reste souvent loin derrière dans les priorités entrepreneuriales. Une solution a surgi in extremis, le poids des jours faisant son œuvre. Elle n’a pas été trouvée par leur employeur, lequel apparemment en était dépourvu, mais par des hommes comme vous et moi, des Français de l’Etranger restaurateurs, qui leur ont offert leurs repas quotidiens pendant des semaines. Accepter la défaillance de l’entreprise s’avère être alors vital. Aujourd’hui, cette famille conserve les stigmates de cette expérience mais aussi bon nombre d’enseignements.


Femme d’expatrié : quand le désespoir et l’isolement nous touchent

La majorité des conjoints suiveurs connaissent l’isolement qu’il est possible de ressentir à l’Etranger. Lors de la phase d’installation, il peut être particulièrement difficile à vivre pour la famille. Le sentiment de solitude peut également se renforcer individuellement lors de périodes de difficultés que l’on vit au plus profond de soi, dans la sphère du privée, de l’intime. Il devient parfois alors impossible de communiquer avec qui que soit que ce soit par question de confiance mais aussi de confidentialité. 

Nos vies d’occidentaux, d’européens plus précisément, ne nous préparent pas à toutes les éventualités, notamment celles inspirant la terreur comme les menaces de mort et de kidnapping qui peuvent alors peser sur les membres de notre famille. M. a vécu l’angoisse quotidienne de ne pas savoir si son mari allait rentrer au domicile après ses journées de travail. Ce dernier endossait le rôle de « fusible » entre le groupe qui l’employait et la sphère gouvernementale locale. Ces deux parties étaient en total désaccord politique et les relais sur place exerçaient une pression sans nom sur l’ensemble de la famille, aussi bien au niveau professionnel que privé. Les menaces de mort pleuvaient, les téléphones étaient sur écoute… très rapidement plus rien ne leur appartenait mis à part leur vie propre et son immédiateté. Le jour où l’entreprise de Monsieur lui a clairement signifié qu’un retour en France était impensable et qu’il ne bénéficierait d’aucun soutien extérieur (entendez par là celle de son employeur), tous les appels à l’aide de cette famille ont cessé. L’effroi et le désespoir ont dans un premier temps sonné les esprits. Nous sommes en effet bien loin des cas de figure ordinaires et des réflexes usuels auxquels nous pourrions faire appel en Europe. Il a donc fallu mobiliser une énergie considérable pour se recentrer et trouver une solution par soi-même, pour sauver la famille. 

Notre vieux continent et les nôtres nous paraissent alors bien loin dans ce cas de figure précis. L’impression d’être seul au monde nous ronge et peut alors paralyser les esprits, alors que leur mobilisation est plus que jamais nécessaire. 


Expatrié français : face au harcèlement moral

A l’heure des grands procès témoignant du mal-être grandissant des salariés, l’expatriation peut sembler constituer une échappatoire. Avoir une meilleure qualité de vie, constituer un environnement sain pour les enfants et soi-même, échapper du marasme économique général… le tout associé au mythe de la vie au soleil, aux soirées festives et au luxe : la formule fait rêver sur le papier et dans les têtes. Pourtant, nous pouvons tous et toutes confirmer que nos conjoints œuvrent d’arrache-pied le plus souvent et dépensent une énergie hors norme afin d’assurer le succès de l’entreprise qui les emploie et assurer leur évolution de carrière. Généralement, cela se traduit par des phases d’installation de plusieurs mois lors desquelles ils se font rares. Par la suite, un rythme de croisière s’installe mais celui-ci reste ponctué par une multitude de dîners professionnels et d’exercice de représentation. En fonction de l’investissement de chacun, les répercussions sont plus ou moins palpables au sein du noyau familial. Le sillon se creuse ou bien s’efface, les liens sont alors mis à rude épreuve. 

Si par cas le destin vous a menés à une affectation délicate, j’entends par là une société en difficulté dans un pays d’accueil à risques, alors le séjour n’en sera que plus difficile. C’est ainsi que T. et son bébé ont attendu pendant des mois, transformés progressivement en années, que son mari trouve son rythme de croisière. Elle a tenté à la fois de pallier à l’absence du père et de l’époux, d’être la meilleure conseillère possible pour son conjoint mais aussi de le « porter ». Le soutenir car en effet le management a brutalement changé. La fatigue de son mari lui est bientôt apparue comme extrême, tout comme les situations de stress permanentes. Une volonté de nuire à son conjoint lui est apparue comme évidente. Toutefois, ce dernier, comme toute victime de harcèlement, n’était pas en mesure de la voir et l’identifier comme telle. Malgré les coachings en soirée, les tentatives de vacances forcées pour reprendre l’oxygène si essentielle au bon fonctionnement cérébral, rien n’y faisait. Il sombrait sous ses yeux et leur équilibre familial aussi. Quelle vie de famille peut-on espérer dans ces conditions ? Malheureusement pour lui, et/ou heureusement pour eux, il a finalement perdu pied sous le poids de la pression, des tentatives de sape. Usé, il a été licencié hors de France. Pour faire face à cette épreuve dans son pays d’accueil, ils ont bénéficié de toute la bienveillance de leurs amis, notamment Français de l’Etranger.


Que dire de ces cow boys expatriés dans ce nouveau Far Ouest ? 

Ces quelques chemins de vie sont le reflet de moments particulièrement difficiles vécus par des familles au cours de leur vie d’expats. Une bonne nouvelle : ces familles sont toutes restées soudées, aussi fortes et unies que possible afin de faire face à l’adversité. Elles ne prodiguent aucun conseil. Chacun en tirera le fruit de sa réflexion. Ces familles ont démontré leur caractère résilient pour la plupart. Leurs enfants possèdent des valeurs de vie exceptionnelles. Tous avaient des « contrats en or » et pourtant la sécurité n’a pas résisté à l’appel au vide… Une question me taraude : « une fois lancés, avons-nous finalement le choix ? ».


Ecrit pour Expats Parents par Virginie PM