Comment l’expatriation peut interroger notre façon de nous occuper de notre bébé ?

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Notre façon d’interagir avec notre enfant dépend de nos choix, de notre vécu, de notre éducation, mais aussi de nombreux autres paramètres comme notre génération, notre classe sociale, ou encore notre culture d’origine. Or, lorsque l’on s’expatrie, notre petit·e vit dans un pays qui n’est pas celui dans lequel nous avons nous-même grandi. Il peut y avoir une représentation différente de l’enfant, une autre langue, ou bien d’autres façons de manipuler un nourrisson, d’en prendre soin, ou de lui parler. Cela peut conduire à une perte de nos repères, parce qu’il peut être difficile d’accepter et de comprendre d’autres façons de faire. Voici quelques exemples.


1-   L’entourage du bébé

Dans certaines sociétés dites traditionnelles, on considère que le nouveau-né vient de l’au-delà et/ou du monde des ancêtres. Pour qu’il prenne ses attaches dans le groupe qui l’accueille, il faut donc le maintenir dans le monde des vivants en l’humanisant. Par ailleurs, l'éducation est prise en charge par toute la communauté du nourrisson, assurant ainsi une continuité et une cohérence dans la transmission culturelle : « Il faut tout un village pour élever un enfant » souligne ainsi le proverbe africain.

Au contraire, aujourd’hui en France, on estime que le nouveau-né appartient à ses parents. L’identité de l’individu prime, ce qui explique que l’autonomie et l’affirmation de l’enfant apparaissent primordiales dans son éducation. Lorsque des différences entre deux petit·e·s d’une même classe d’âge apparaissent, les parents ne recherchent pas seulement des repères auprès de leurs familles – et d’autant moins lorsqu’ils sont expatriés. Ils s’informent surtout dans des livres, auprès de professionnels ou sur Internet.


2-   Les bijoux pour le bébé

Dans la plupart des sociétés traditionnelles, les bébés sont ornés de bijoux et d’amulettes. Ces parures ont pour but de les relier à la communauté dans laquelle ils sont nés, et/ou de les protéger d’esprits maléfiques.

En France, on offre souvent des chaînettes, des médailles, ou des porte-bonheur. De même, le baptême n’a-t-il pas pour finalité d’inscrire l’enfant dans une communauté sociale et/ou d’assurer la protection divine ?


3-   Les rituels pour endormir le bébé

Le bercement apparaît comme un geste naturel puisqu’universellement employé pour calmer un enfant. En effet, le fœtus est bercé lorsque sa mère marche, il est donc rassuré et apaisé par ces mouvements de balancement. Le bercement peut être associé à des berceuses, chants qui emmènent dans le sommeil.

Dans chaque culture, les façons de faire sont différentes : on peut par exemple être choqué par des chants très rythmés et/ou un bercement très énergique. Au contraire, la plupart des parents Français prennent de multiples précautions pour effectuer des gestes doux et lents, pour faire peu de bruit au moment d’endormir leur enfant.


4-   L’alimentation du bébé

Dans les certaines cultures, l’allaitement dure au moins 6 mois et souvent plusieurs années. Il se fait à la demande de l’enfant qui peut également jouer avec le sein de sa mère lorsqu’il le souhaite. Le sevrage est le fait d’une nouvelle grossesse, du manque de lait, etc. Il peut nous paraître brutal : la mère va par exemple s’enduire le sein de piment ou de poivre. Chez les Inuits, les Papous, les Yafars ou encore les Masaïs, on pratique la becquée : les mamans mastiquent elles-mêmes les bouchées avant de les donner à leur bébé.

En France, l’allaitement n’est pas automatique et dure en moyenne trois mois. Le sevrage, souvent progressif, est la plupart du temps expliqué par les circonstances professionnelles. Le plus souvent, le repas est très rythmé dans la journée et donné à heures fixes. En ce qui concerne la diversification alimentaire, le robot mixeur est incontournable dans la plupart de nos foyers français. Néanmoins, certains suivent les principes de la diversification menée par l’enfant ou alimentation autonome du bébé, et ne proposent pas de purées ou de compotes, mais mettent directement à disposition de leur petit·e des aliments sans les mixer.


5-   Le portage du bébé

Dans certaines cultures, le bébé n’est jamais posé sur le sol afin d’être à l’écart des dangers : animaux ou insectes et esprits malveillants. Tant qu’il ne sait pas marcher, il est donc porté. Sur le ventre ou plus fréquemment dans le dos, le nourrisson est maintenu par un pagne, un foulard, un tissu, une peau de mouton ou de chèvre comme au Yémen ou au Ladac. Tourné vers l’extérieur, le bébé engrange des informations sur son environnement, tandis que le porteur (qui peut-être la mère ou une sœur aînée par exemple) garde les mains libres pour accomplir ses tâches quotidiennes. L’enfant est bercé et perçoit des odeurs, des vibrations, ou d’autres sensations lorsque le porteur marche ou parle par exemple. Dans les pays où les femmes sont nues en haut du corps, le peau-à-peau est présent, de même que dans certains pays froids comme chez les esquimaux Nestilik.

Certains parents Français utilisent également des écharpes de portage ou d’autres porte-bébés. Spontanément, nous avons tendance à préférer le portage ventral, plus rassurant pour nous et plus enveloppant pour le bébé. Le contact direct avec le corps de l’adulte est très rare, probablement du fait de nos origines judéo-chrétiennes, qui prônaient les intérêts spirituels au détriment du contact physique.


6-   Les interactions avec le bébé

Dans les cultures où le bébé est porté tout le temps, on peut être choqué par le peu d’échanges de regards ou de paroles entre le porteur et l’enfant. Pourtant, si les temps de parole n’ont pas lieu au moment où on pourrait les attendre, ils existent bien et l’interaction mère-bébé est également présente. En fait, l’essentiel de cette communication passe par d’autres canaux sensoriels et par le dialogue des corps. Par exemple, le porteur modifie sa façon de bouger afin de consoler le bébé qui pleure dans son dos. De même, dans certaines ethnies d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique du Sud par exemple, la mère qui porte son nourrisson sent lorsque celui-ci a besoin d’uriner et lui offre de se soulager dans la nature.

En France, le bébé et son parent interagissent principalement par des échanges de regards, de mimiques, de paroles et autres gazouillis. L’hygiène naturelle infantile ou élimination - communication est rarement pratiquée : en observant les réactions de leur bébé, les parents tentent alors de détecter les signes indiquant qu’il est sur le point de faire ses besoins et lui permettent de se soulager dans une bassine ou dans les toilettes.


7-   La toilette du bébé

Dans certaines cultures traditionnelles, le nouveau-né est lavé pour se purifier car il vient de l’au-delà. L’eau de son bain peut contenir des plantes aux propriétés antiseptiques, du sel ou encore des pièces d’argent pour assurer sa richesse. Parfois, on souffle dans sa bouche ou dans son anus, car ces orifices sont des passages par lesquels une âme pourrait se faufiler. Dans certains pays, la toilette peut nous sembler sèche. Les mères frottent leur enfant de façon vigoureuse, elles évaluent en même temps son tonus et peuvent ainsi détecter certaines maladies. Après le bain, on peut maquiller le bébé pour faire fuir le mauvais œil, par exemple avec du khôl au Maghreb ou encore comme le Dieu Krichna chez les Tamouls.

Dans notre culture française, le bain permet de nettoyer notre enfant des microbes, mais il peut aussi être un moment de détente et un tête-à-tête privilégié.


8-   Le massage du bébé

En Afrique, en Inde ou au Népal, le massage peut nous apparaître impressionnant car il est très énergique : les pressions sont franches, les étirements de grande amplitude, les retournements soudains. Les massages pratiqués fréquemment ont pour but de tester la vigueur du bébé, de rendre sa peau et ses muscles plus souples, ou de renforcer ses os. L’objectif est que le corps de l’enfant soit solide et fort pour surmonter les difficultés futures de sa vie, ou encore pour l’humaniser. Les pressions peuvent également être accentuées sur certains endroits pour modeler le corps du nourrisson : on l’allonge en tirant sur ses jambes, on affine son nez ou on modifie la forme de sa tête. La mère de l’enfant ou une femme plus expérimentée pratique ces massages avec du beurre de karité, de l’huile de palme, de sésame, de coco ou toute autre mixture, dans le but d’hydrater la peau, de la protéger du soleil ou des insectes.

En France, le massage est peu fréquent. Lorsqu’il est réalisé, c’est pour détendre et apaiser le bébé. C’est également un moment de partage au cours duquel le contact peau à peau permet à l’enfant de ressentir son corps dans son intégralité.



9-   L’emmaillotage du bébé

Dans certaines cultures de Chine, au Tibet ou en Mongolie, l’enfant est emmailloté dès sa naissance. Enveloppé, serré, ses mouvements spontanés sont difficiles. Cette pratique s’explique par le fait que, avant sa naissance, le fœtus rencontrait également la résistance d’une paroi qui l’enveloppait et lui procurait un sentiment de sécurité (le placenta).

En France, l’emmaillotage était très fréquent auparavant et est aujourd’hui parfois proposé à certains nouveau-nés pour les rassurer.


10-   Le traitement des maladies

Dans certaines sociétés, on considère qu’une personne malade est possédée par des esprits maléfiques : seule la médecine traditionnelle est donc compétente pour les chasser. Il peut s’agir de remèdes à boire ou à appliquer sur le corps du bébé, ou encore des cérémonies d’exorcisme plus ou moins complexes avec notamment des prières et/ou des transes, etc. Parfois également, le thérapeute traditionnel travaille seul à distance du patient. Par exemple, après avoir retrouvé un objet considéré comme ensorcelé, il peut faire en sorte que celui-ci n’agisse plus.

En France, la médecine scientifique prime : prévention et traitement des maladies sont encadrés médicalement. Toutefois, le recours à une certaine forme de médecine naturelle se démocratise. Par exemple, les médicaments à base de plantes ou l’ostéopathie sont très fréquemment utilisés pour soigner des jeunes enfants ; beaucoup portent également des colliers d’ambre pour soulager les poussées dentaires.


Ce tour d’horizon permet de mieux comprendre certaines pratiques de maternage qui pourraient sembler choquantes, mais qui s’inscrivent dans le système de représentation de la société dans lesquels ils apparaissent. Il ne peut pas bien sûr pas être exhaustif, mais il met en évidence que toutes les cultures se rejoignent sur le fait d’assurer au bébé des soins, une protection et un bien-être. Ces pratiques nous incitent à remettre en question notre héritage : pourquoi ne pas s’en inspirer et adapter certaines façons de faire à nos modes de vie en tant que Français ?


Ecrit pour Expats Parents par Aurore Rivière, orthophoniste et psychomotricienne, diplômée en ethnologie et en ethnopsychiatrie, ayant été expatriée notamment en Afrique et en Amérique Latine.
Son site : https://donnezluidesailes.fr


Bibliographie :
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RIAND, R., PLARD, V. MORO, M-R. (2008) Familles et cultures : porter, penser et rêver les bébés, Spirale
ROLLET, C., MOREL, M-F. (2000) Des bébés et des hommes - traditions et modernité des soins aux tout-petit, Albin Michel.
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