Photo : Nelly Soulié
L’expatriation est une transition majeure qui suppose de quitter des lieux (domicile, école, quartier…), des personnes (copains, amis, grand-parents, cousins, enseignants…), des habitudes, des rituels, etc. qui constituent des repères et auxquels nous sommes attachés.
Ceci signifie une perte importante pour l’enfant (et pour l’adulte également !). Face à la perte, nous réagissons en activant, inconsciemment, un processus psychique bien connu : le processus de deuil.
Le terme de deuil est surtout utilisé face à la mort d’un être cher. Mais le processus de deuil s’enclenche face à toute sorte de perte : celle d’un emploi, d’une relation amoureuse, d’un rêve que l’on constate irréalisable… mais aussi dans une situation de déménagement, et à fortiori dans le cas d’une expatriation !
Même si pour les parents cette perte est souvent volontaire, puisqu’ils ont fait (ou du moins accepté) le choix de partir, ils auront à vivre le processus de deuil à plus ou moins grande échelle.
Quant aux enfants, souvent entraînés dans l’expatriation sans autre choix que de suivre leurs parents, la perte peut être vécue de manière plus dramatique. Le processus de deuil peut donc être plus expressif.
Mais comment se déroule ce processus psychique de deuil ?
Plusieurs chercheurs se sont penchés sur cette question, et la référence la plus reconnue actuellement reste la théorie des cinq phases ( Elisabeth Kubler Ross).
Pour résumer, cette théorie décrit cinq étapes successives dans tout processus de deuil, quel qu’il soit :
1ère étape : le déni
La première réaction dans une situation de perte est de rejeter l’idée même de cette perte. On ne peut imaginer que la perte a eu lieu.
Un exemple tout simple : je sais que mon chat est resté en France, mais le matin j’ai des velléités à remplir son bol de croquettes, et il me semble l’entendre miauler. Ou alors : notre enfant a bien compris que nous étions à des milliers de kilomètres de son meilleur copain, il demande néanmoins de prendre le goûter chez lui…
Ce déni échappe à la logique, et on a beau se raisonner, il nous surprend.
Son intensité et sa durée sont très variables. Il peut passer presque inaperçu, comme il peut durer longtemps et se manifester de façon importante.
2ème étape : la colère
La perte engendre la frustration qui déclenche l’émotion “colère”. Cette colère peut rester sans “persécuteur” : je suis en colère mais je n’en veux à personne. Elle peut aussi, souvent dans le cas d’enfants expatriés, se retourner contre les parents (“c’est à cause de vous que je ne peux plus voir mes copains, aller à mon ancienne école…”) ou contre l’employeur du parent dans certains cas.
Cette colère peut se manifester de différentes manières, en fonction de l’âge et de la personnalité de l’enfant : crises de rage, désobéissance, bouderie…
La durée et l’intensité de ses manifestations sont aussi variables.
3ème étape : le marchandage
La colère étant infructueuse, on essaie de trouver un compromis par le biais de négociations plus ou moins élaborées : passer des vacances chez le meilleur pote, ouvrir un compte Facebook pour garder le contact, skyper une fois par semaine avec les anciens amis, etc
4ème étape : la tristesse
On a tendance à redouter cette émotion qui souvent nous désarme. Combien de parents ont dit la phrase “ne pleure pas” à leur enfant ?
La tristesse est pourtant la phase la plus importante dans un processus de deuil. C’est un passage obligé pour que le deuil s’accomplisse et nous permette de tourner la page pour pouvoir aller vers d’autres horizons.
Si votre enfant est triste, c’est qu’il est sur la bonne voie. L’aider consisterait à l’accompagner dans cette tristesse et non à la lui interdire. Se montrer compréhensif, lui permettre d’exprimer ses émotions, le consoler, lui manifester notre bienveillance, sont des attitudes qui peuvent l’aider à évacuer son chagrin et à pouvoir passer à l’étape suivante de son deuil.
Les larmes ont des vertus inestimables. Ce n’est pas pour rien qu’on dit qu’elles “lavent” le chagrin. N’en privons pas nos enfants !
5ème étape : l’acceptation
Lorsque nous arrivons à cette phase, le deuil touche à sa fin. Mais il est important de rappeler que cette étape ne peut avoir lieu sans la précédente.
Pour que la vie puisse se poursuivre et permette de nouveaux investissements affectifs, un tri dans les émotions est nécessaire. On évacue la tristesse, et on garde les bons souvenirs qui permettent de continuer à faire vivre d’une autre manière ce qu’on a perdu. Ainsi, on ne trahit pas ce “paradis perdu”, mais notre vie peut aller de l’avant sans lui.
Dans le cas de l’enfant en période d’expatriation, cette étape ouvre la voie du “possible”. Il est désormais envisageable de recréer des liens avec un nouvel environnement, des nouveaux copains, une nouvelle nounou, etc. sans l’obligation “d’oublier” ceux que l’on a quittés. Le ressenti n’est plus à la tristesse mais à l’enthousiasme de la découverte, de la nouveauté, du positif.
Le parent peut aider son enfant dans cette étape en l’incitant à effectuer un “rituel de passage” : trier des photos et en faire un album, ranger des objets, ou exposer des souvenirs sur une étagère, dresser une liste, écrire un texte, etc.
Il est important de se rappeler que les étapes du deuil ne se passent pas de la même manière chez tous les membres de la famille. Elles n’ont pas non plus la même durée. Parfois les étapes peuvent se chevaucher chez un même individu. Un enfant qui semble avoir dépassé sa colère peut y revenir à l’occasion d’un événement significatif pour lui (même si cet événement peut paraître anodin aux yeux des parents). Il peut sembler avoir atteint la phase d’acceptation puis retomber dans la tristesse. Ceci peut arriver dans des situations de perte unique. A plus forte raison dans les cas d’expatriation où il ne s’agit pas d’une seule perte mais de pertes innombrables auxquelles s'ajoute le stress de l’adaptation dans cet environnement nouveau.
Article écrit par Nelly Soulié, psychiatre, dans le cadre du MOOC "Expat et Parent" réalisé avec Aurore Lafougère, à destination des familles expatriées.