Les défis des enfants expatriés

#enfance , #expatriation

Ce texte est la transcription de mon intervention lors du colloque "Enfance et expatriation", organisé par l'association Français du Monde-adfe, qui s'est déroulé au Sénat le 28 septembre 2018. Le ton est donc celui d'une intervention orale.


Je me propose de vous parler des défis que rencontrent les enfants expatriés. lorsqu'on parle d´expatriation en famille, c´est vrai qu'on a facilement en tête tous les bénéfices que vont pouvoir en retirer les enfants. Bénéfices en termes d´ouverture d´esprit, de découverte de nouveaux pays, de nouvelles cultures, de développement de leurs capacités d´adaptation, de possibilité d´acquérir une ou plusieurs langues, de se faire des copains aux quatre coins du monde… On pense facilement à tous les bénéfices, et on pense moins parfois à tous les défis qui accompagnent ces richesses, même s´ils sont tout à fait présents. Qui dit défis ne veut d’ailleurs pas toujours dire difficultés ; il y a des difficultés, mais il y a des efforts, des choses à faire et à surmonter, et après on en est plus fort, plus riche. Je me fais ici le porte-parole de ces 8000 familles qui quotidiennement échangent sur le groupe Facebook « Expats Parents-Partage d’expériences entre parents francophones expatriés », qui est très actif puisqu´il y a environ 10 000 à 15 000 interactions par mois, ce qui est énorme.

J´ai essayé de voir quels étaient les principaux pôles de défis qui étaient évoqués par toutes ces familles. Le premier qui arrive, de manière quantitative, c´est celui qui concerne la scolarité. C´est souvent une grosse source d´inquiétude pour les parents, et un défi important pour les enfants. Le deuxième, c´est tout ce qui concerne les langues. Et le troisième concerne davantage l´adaptation, la psychologie, etc. J´y suis particulièrement sensibilisée de par ma profession de psychologue. Alors je voudrais aussi souligner, avant de rentrer un peu dans le détail de ces défis, qu’il n´y a pas de famille type ; donc les défis sont innombrables, et entre deux familles, ou entre deux enfants d’une même famille, les défis ne vont pas être les mêmes. Les défis dépendent aussi du type d´expatriation : est-ce que la famille s´expatrie pour la première fois, est-ce que c´est une famille « récidiviste », qui change de pays tous les deux, trois ans, ou qui est partie avec quelques valises, sans travail parfois, et sans connaître la durée de l´expatriation, sans savoir s´ils allaient revenir en France après… bien sûr ce ne sont pas les mêmes défis. Le défi ne va pas non plus être le même en fonction du pays : c´est vrai que parfois le choc culturel va être plus important lorsque l´on part dans certains pays, plutôt que dans un pays qui est proche de la culture du pays d´origine. Là aussi pour l´enfant, tout va dépendre de son âge, s´il a des frères et sœurs qui partagent cette aventure avec lui, ou est-ce qu´il est tout seul avec les parents ; et puis aussi, tout simplement, en fonction de sa personnalité, chacun va réagir de façon différente.

En termes d´adaptation, toute expatriation commence par le fait de quitter un environnement qui est connu, qui est sécurisant, pour un environnement qui est inconnu. Ça c´est le premier défi. Sachant qu´un déménagement, ce n´est pas simplement mettre des affaires dans des cartons et puis les emmener ailleurs. Un déménagement, c´est aussi quitter un endroit qui est cher, dans lequel on a des souvenirs, où on a vécu des choses. C´est quitter aussi des amis, c´est quitter effectivement des grands-parents, des cousins que l´on n´est peut-être pas sûr de revoir rapidement. Ça aussi c´est un défi qui est important, et qui s´accompagne de beaucoup d´émotions pour l´enfant : souvent de la tristesse, de l´inquiétude, de la peur ; et le défi, pour les parents comme pour les enfants, c´est d´arriver à gérer ces émotions, et donc ça demande des capacités de développement et de résilience pour les enfants. Comme on le soulignait aussi, l´enfant n´a pas choisi de partir, en général : les parents sont initiateurs du projet, lui il faut qu´il suive. Alors en fonction de son âge ; l’enjeu n’est pas le même : c´est vrai qu´un tout petit a ses rituels, ses petites habitudes, mais il part avec ses parents, donc le principal c´est quand même la cellule familiale qui va lui maintenir sa sécurité, sa base affective, quel que soit l´endroit où il va se trouver. Quand vous partez avec un adolescent dont l’identité se construit essentiellement parmi ses pairs, en essayant de prendre un peu d´autonomie vis-à-vis de ses parents, l´expatriation lui fait vivre exactement l´inverse. C´est- à-dire qu´elle le coupe de ses pairs, de sa bande de copains au travers desquels il se construit, et elle le rattache à papa maman. Il est obligé de suivre, alors qu´il n’en a parfois, même souvent pas envie, et ça nuit à son autonomie parce qu´il arrive dans un pays où il ne peut parfois pas se déplacer tout seul par exemple. C´est vrai que les défis pour les adolescents, c´est effectivement quelque chose auquel on ne pense pas toujours. Cela se passe plus ou moins bien, il y a des adolescents plus ou moins rebelles, il y en a qui s´empêchent de faire leur crise d´adolescence parce qu´ils n´en n´ont pas les moyens dans le contexte. Ça ressort parfois plus tard…

Le défi aussi pour l´enfant, quand il arrive dans un nouvel environnement, c´est de se recréer un réseau de copains, d´amis, de reconstruire des amitiés, parfois avec la barrière de la langue, quand il arrive dans une école où les enfants ne parlent pas français. L´enfant, au fil de ses expatriations, (je parle plutôt des enfants qui s´expatrient régulièrement), va se construire une identité avec à la fois des éléments de sa culture d´origine, et puis aussi des éléments de la culture du ou des pays d´adoption dans lesquels il va résider. Et là, cela construit finalement une identité particulière, qui a été explorée et sur laquelle il y a eu pas mal d´études, ce que l´on appelle chez les anglo-saxons « Third Culture Kids » en français ça donne « les enfants de la troisième culture » ou de la « culture tierce». Ces enfants développent une identité qui leur est propre et qui leur permet souvent d´ailleurs de se reconnaître entre eux, c´est-à-dire qu´ils vont avoir des affinités parce qu´ils ont partagé le même style de vie. Il va y avoir plus d´affinités parfois entre un petit chinois qui arrive dans un pays, par exemple l´Autriche et qui a vécu aussi au Laos avant, et un enfant français qui a vécu en Allemagne et au Viêt-Nam. Ils vont se reconnaître, ils vont se comprendre, et souvent on voit dans les écoles qu´ils se retrouvent entre eux. Même parfois lors du retour en France, comme par hasard, un petit français qui vient de l´étranger, son meilleur copain ça va être tout de suite un étranger ou celui qui a aussi vécu à l´étranger. C´est quelque chose qui relève de l´identité et de la construction de l´identité. Donc se déraciner, quitter ses amis, ne plus avoir le lien avec les grands-parents, les cousins, c’est un défi, même si les nouvelles technologies développent maintenant des moyens de se contacter, qui sont vraiment formidables. Un défi important dont on a parlé ici déjà, et j´en suis très heureuse, parce que c´était un peu tabou jusqu` à présent, c´est lorsque les parents se séparent : là aussi, le défi pour les enfants est grand, notamment lorsqu´un parent part au bout du monde et que lui reste avec l´autre.

Et puis, bien sûr, aussi, le retour en France : le petit expatrié est souvent vécu comme un extra-terrestre parce qu´il ne maîtrise pas les codes sociaux. Pour lui, souvent, ce n´est pas un « retour » en France : parfois il « arrive » en France. Les parents disent : « On rentre en France ! » mais lui dit « La France ce n´est pas plus chez moi que là d’où je viens ». Donc ces enfants-là, parfois, savent prendre l´avion tout seul à douze ans, mais ne savent pas prendre le métro ! Pour les copains de classe, ils paraissent donc un peu bizarres. Il y a beaucoup d´autres défis encore, notamment au moment du retour en France et c´est d´ailleurs un peu cela qui m´a incitée à lancer le projet Expats Parents : les difficultés que j´ai constatées lors du retour en France, avec mes ados.

Concernant la scolarité, les défis ne sont pas les mêmes si l´enfant arrive dans un lycée français dont il connaît le système d´enseignement, les programmes, etc, même si parfois dans la cour de récréation on parle une autre langue que le français : soit on parle la langue locale, soit parfois même, les enfants français entre eux parlent anglais, c´est quand même assez étonnant ! L´enfant est parfois dans une école internationale dont il maîtrise ou pas la langue en arrivant. Bien que les lycées français forment un réseau très développé, il n´y en a pas toujours à proximité, et parfois les parents n´ont pas les moyens de les financer, notamment lorsqu’il y a plusieurs enfants, et que cela devient un budget conséquent. Donc parfois l´enfant, soit par choix, soit par nécessité, atterrit dans une école locale dont il ne parle pas la langue. Arriver dans une école dans laquelle on ne comprend rien, c’est difficile pour se faire des copains ; en fonction de sa personnalité, si on est plus ou moins extraverti, on peut arriver à communiquer quand même, mais ça ne se fait pas du jour au lendemain, et ce n´est quand même pas facile. Par ailleurs, pour ceux qui vont dans une école locale, il y en a qui subissent la « double peine » puisqu´ils doivent suivre une scolarité complémentaire ou en français pour pouvoir éventuellement assurer un retour en France, lorsque l´expatriation sera terminée ; c´est encore un défi. Défi aussi d’ailleurs, pour le parent qui accompagne l´enfant dans cette scolarité complémentaire... Il y a aussi des enfants qui sont scolarisés entièrement à distance, parce qu´il n´y a pas d´établissement à proximité, par exemple. D´autres qui sont carrément déscolarisés : certains parents pratiquent le homeschooling ou l´instruction en famille. Tout ça , ce sont des défis qui vont être très variés pour les enfants. Il y a aussi le cas des enfants qui ont des besoins spécifiques ; c´est un thème qui me tient à cœur, parce que lorsqu´un enfant souffre de dyslexie ou autre, ce n´est pas toujours facile pour lui de pouvoir s´adapter à un système scolaire différent, ou d´être pris en charge comme il le serait en France. Dans certains cas, ça peut être toutefois un atout d’être à l’étranger, mais pas dans tous les pays. En termes de scolarité là aussi, le retour en France est souvent vécu comme un casse-tête, et est souvent très stressant, aussi bien pour les parents que pour les enfants. Quand l´enfant venait d´un lycée français, c´est relativement simple, mais quand on arrive et que l´on n´a pas d´adresse, pour choisir l´école c´est très difficile. Parfois on arrive en plein milieu de l´été, donc tout est complet. On ne trouve pas facilement ou pas toujours la filière avec la bonne langue ou le bon cursus, etc. Pour les plus grands, ce n’est pas simple de prévoir l´orientation, lorsque l´on est à l´étranger, à des milliers de kilomètres de chez soi : trouver les filières d´orientation, faire reconnaître son parcours scolaire, notamment lorsque l´on a passé un diplôme américain ou le bac anglais ou un IB qui n´est pas toujours reconnu en France, s´inscrire à Parcoursup…

En termes de langues, je vois deux grands défis : le premier, c´est effectivement d´apprendre la langue locale quand on arrive dans un pays, et au-delà d´une langue, il y a toute une culture, le fait d´être immergé dans un bain culturel auquel on n´est pas du tout habitué. Alors au-delà de la langue, dans la culture, il y aussi parfois la nourriture qui est différente, le climat, des odeurs… La population peut ou pas nous ressembler physiquement, ou être totalement différente, donc on passe plus ou moins inaperçu. Il y a donc le fait d´acquérir cette langue, et éventuellement de la conserver lors d´une expatriation successive. Est-ce que c´est souhaitable ou pas ? Ce n´est pas toujours possible sachant qu´une langue c´est quelque chose de vivant, et lorsqu’on ne l´entretient plus, elle peut disparaître au grand dam des parents, qui pensent que leur enfant est bilingue pour toute la vie. Le deuxième gros défi en termes de langues, c´est d´acquérir et de maintenir le français, notamment lorsqu’on est dans un pays où l´enfant est scolarisé toute la journée dans une langue qui n´est pas le français. Donc les parents sont souvent très soucieux que leur enfant acquière quand même la langue française, notamment à l´écrit, et aussi dans la perspective d´un retour en France, pour pouvoir bien s´intégrer dans le système scolaire. Il existe beaucoup d´échanges effectivement à ce sujet, notamment quand les parents ne parlent pas la même langue à la maison. Là, on a des configurations et des défis qui sont multiples.

Pour ne pas rester sur les défis et des choses qui peuvent paraître décourageantes, j´avais prévu toute une liste de ressources, pour permettre d´accompagner les enfants lors de toutes ces transitions que comporte la vie d’une famille expatriée. Je ne vais pas pouvoir les détailler, cela me permet de vous renvoyer vers le site du projet Expats Parents : il y a un groupe Facebook Expats Parents, mais le cœur du projet, qui était mon but, c’est un site collaboratif de l´expatriation en famille. A ce jour, trente-cinq auteurs y écrivent des articles. Vous y trouvez également des livres qui sont référencés, des livres pour les parents, et des livres pour les enfants : soit des livres écrits pour les enfants, soit des livres qui aident les enfants à passer par ces phases de déménagement et d´acculturation. Vous y trouvez aussi des sites internet qui peuvent être utiles à des familles expatriées, etc. Il existe enfin des groupes Facebook innombrables sur tous les sujets, des podcasts, des webinaires, des blogs, etc. Je vous invite à retrouver toutes ces ressources sur le site expatsparents.fr  il a été créé pour ça !


Vous pouvez accéder à l'intégralité des interventions sur cette video
L'intervention concernant les défis des enfants expatriés commence peu après la minute 39.


Catherine Martel, psychologue,
Fondatrice du projet Expats Parents