Dialogue entre 2 mamans expats

Quand une maman expatriée rencontre une autre maman expatriée, qu’est-ce qu’elles se racontent ? Des histoires de mamans expatriées !


Cette rencontre est cependant un peu spéciale. En effet, Émilie et Nancy sont deux expatriées qui ne se sont jamais rencontrées. L’une vit en Angleterre, l’autre à Washington. L’une débute dans l’aventure de l’expatriation, l’autre ne compte plus les déménagements. Elles se sont croisées tout à fait par hasard dans le fantastique groupe Facebook Expats Parents – partage d’expériences entre parents francophones expatriés. Et de là, grâce à la magie d’Internet, elles ont commencé à dialoguer, se découvrir et surtout partager leurs expériences et questionnements sous l’angle première expatriation versus multi-expatriations.

Cet article, sous forme d’un dialogue questions & réponses, retrace cet échange d’expériences sur l’expatriation, son implication sur les enfants, ses défis et ce qui finalement, selon elles, serait peut-être la définition d’une expatriation réussie !


Émilie - S’expatrier n’est ni un sacerdoce, ni une sinécure.

Quand j’étais plus jeune, toute personne qui allait de pays en pays, sans s’inquiéter de la date de son retour, était pour moi nécessairement une baroudeuse. Dans mon imaginaire, cette personne devait avoir l’allure d’un Indiana Jones des temps modernes, et tenir quelque chose du hippie. Plus positive que quiconque, un peu philosophe, un peu téméraire, cette personne sans attaches serait ouverte à toutes les cultures et capable de dialoguer avec elles ; sensible aux problématiques locales, engagée pour une cause, elle aurait aussi une vue globale sur l’existence et la planète qui ferait de sa voix, une voix qu’on écoute. Je l’imaginais donc libre, en treillis, solitaire… Puis à mon tour je suis partie, et j’ai beau chercher dans le miroir, à part les cheveux rebelles, je n’ai définitivement rien d’une Indiana Jones. C’est ma première expatriation, j’ignore complètement si elle sera la seule, si même j’aurai envie de repartir… Car avec cette première expatriation surgissent surtout des montagnes de questions. Je découvre les problématiques liées au départ volontaire, à l’éloignement d’avec ses proches et sa culture. Je découvre que s’expatrier n’est ni un sacerdoce, ni une sinécure. Je suis partie par hasard, cette expatriation n’avait pas été planifiée, je ne me savais pas voyageuse avant de fermer mes cartons… Sans doute que le hasard de mon expatriation m’empêche de me projeter dans d’autres aventures… je peux m’imaginer sur un vélo en Hollande, en bas d’un gigantesque gratte-ciel aux États-Unis…sans être sûre de le vouloir vraiment.

Nancy, toi qui a enchaîné les expatriations, crois-tu que tu étais faite pour devenir « multi-expat » ? Ou crois-tu que c’est en partant que tu as été piquée du virus de l’expatriation ? La première fois que tu es partie, savais-tu (même quelque part au fond de toi) que cette expérience de vivre ailleurs ne serait pas la seule ? Le voulais-tu ? Nancy, toi qui as vu tant de pays et surmonté tant de difficultés liées à l’expatriation, dis-moi, quand tu étais plus jeune, l’avais-tu rêvé ?


Nancy - Quelle que soit la situation, nous avons toujours du positif à en retirer.

Émilie, je dirais que mon histoire d'expatriée a commencé comme celle d’Obélix… je suis tombée dans la marmite ! Le virus m’a piquée dès ma naissance ! Je suis née à Kinshasa, et bien que je n’y sois restée qu'un an, cela a clairement scellé mon destin. Toute mon enfance (en Allemagne et en Suisse), a été baignée par les récits merveilleux de mes parents à Kinshasa. Notre salon regorgeait de statues et meubles du Congo et d’aussi loin que je me souvienne, petite j’avais deux rêves : devenir institutrice et partir enseigner au Congo. A 21 ans, j’avais mon diplôme d’institutrice en main et je suis partie enseigner à… Madagascar ! Et si j'étais loin des aventures d'Indiana Jones, les conditions étaient très différentes de celles d’aujourd’hui : petite ville des Hauts-Plateaux, seule étrangère blanche, pas d’internet, pas de téléphone (un appel par an de 3 minutes à mes parents) : quelle expérience incroyable et unique ! J’ai rapidement pensé y faire ma vie… mais au bout de 3 ans, par amour, j’ai quitté la Grande-île pour atterrir à …. Bordeaux. Et à la clé une reconversion professionnelle inattendue : je suis devenue manager de musiciens professionnels ! Puis l’amour n’ayant pas duré, 3 ans plus tard… j’ai décidé de repartir ! Je voulais retrouver ce que j’avais connu à Madagascar. J’ai postulé auprès d’organisations humanitaires, et j’ai eu la chance d’être engagée par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). J’ai travaillé 10 ans dans les pays en guerre à faire un métier incroyable : déléguée spécialisée dans les visites de prisons et la protection de la population civile ! Passionnant, avec des missions de 12 à 15 mois maximum. C’est là que j’ai pris goût au fait de changer de pays régulièrement, de couper ma routine et repartir vers d’autres horizons, d’autres défis, d’autres cultures. J’ai rencontré mon mari…au Congo-Brazaville ! Sacrée coïncidence ! Lui aussi travaille pour le CICR. Puis, j’ai vécu une de mes plus importantes transitions de vie : je suis devenue maman ! Ce qui a complètement chamboulé mes priorités ! J’ai quitté le CICR, nous avons vécu quelques années en Suisse (l’impatriation, ce fameux retour au pays d’origine) ; puis nous sommes repartis, cette fois en famille ! Pour la première fois, j'ai expérimenté ce très particulier statut de conjointe accompagnante ! J’avais déjà pris l’habitude de me réinventer, je me suis alors formée à un nouveau métier, celui de coach de vie. Mon mari continue à travailler au CICR, nous bougeons tous les 3 ans. Et j’avoue que cela me plaît bien. La vie que j’ai eue jusqu’ici est extraordinaire, pleine d’opportunités, qu’elles aient été choisies ou non ! Oui, petite je savais que je voulais vivre à l'étranger ; mais je n’avais jamais imaginé autant voyager, …dans plus de dix pays entre l’Afrique, la Russie, le Moyen-Orient et les États-Unis. Comme tu le mentionnes, l'expatriation n’est pas toujours facile, derrière toutes les richesses de cette vie, au quotidien il y a de nombreux défis que tu connais très bien : l’éloignement avec les proches, les phases d’incertitudes et de questionnements, la culpabilité d’être si loin de nos parents vieillissants et d’imposer de gros changements à nos enfants. Il est vrai que tout était plus facile sans enfant. Ces choix n’appartenaient qu’à moi. Comme pour beaucoup d'expatriés, mes plus gros questionnements tournent autour de la question d’un retour ou non. Ce que j’ai appris tout au long de ces années, c’est que nous ne savons pas ce que la vie nous réserve ! La vie nous pousse à faire des choix, à écrire de nouveaux chapitres et à en refermer certains. Au fond, ma plus grande leçon, c’est que quelle que soit la situation, nous avons toujours du positif à en retireret surtout le choix de l'accepter et d’avancer. 

Émilie, nos débuts d’expatriées commencent très différemment. Tu dis que tu ne te savais pas voyageuse, que tu es partie un peu par hasard. Avec cette première expérience, quelle a été pour toi ta plus grande surprise ? Trouves-tu qu’il y a, comme beaucoup le disent, un avant et un après ? Qu’est-ce que l'expatriation a changé en toi ? Quelle que soit la suite, que retiens-tu de cette expérience inattendue ? Et qu’est-ce qui te plaît le plus dans cette première expatriation ?


Émilie –En plus de nos bagages, on tient la main de nos enfants qui comptent sur nous pour les guider.

La vie nous pousse à faire des choix, c’est bien vrai ! Mais ces choix ne nous appartiennent plus tant puisque nous sommes parents. La vie nous pousse, tout simplement, et cette expatriation inattendue a surtout confirmé cette certitude que j’avais déjà : il n’y a pas de chemin tracé. Seulement on ne voyage pas seul, et si parfois on se verrait bien faire ses bagages et partir ailleurs, plus loin, ou même rentrer en France, parce qu’on en a envie, parce qu’on en a besoin… eh bien on ne le peut plus. Car en plus de nos bagages, on tient la main de nos enfants qui comptent sur nous pour les guider, les retenir de tomber… S’ils savaient… On fait de plus grands pas qu’eux c’est certain, mais chacun de nos pas devient plus lourd de sens. Et si les choix s’imposent et se multiplient, l’expatriation ne les rend pas plus évidents. 

Je découvre avec cette première expatriation le paradoxe de l’expérience ailleurs. Indubitablement, changer de pays ne fait pas de nous une nouvelle personne. On change parce qu’on fait l’effort de s’adapter à un nouvel environnement. C’est cet effort qui nous change. Mais tout à la fois, on devient ou redevient SOI. Voilà donc le paradoxe : on change, et on se retrouve en même temps. Ici, avec mon mari, nous sommes obligés de questionner nos rêves, nos goûts, nos aspirations. On « prend de la distance » comme on dit, et c’est justement la distance qu’on a prise non pas tant avec notre pays mais avec notre « vie d’avant » qui nous oblige à prendre un peu de hauteur. Parce que la vie est courte, parce qu’on ne veut rien regretter, parce qu’on veut profiter et qu’on veut vivre en accord avec nos rêves les plus profonds. Voilà ce qui me plaît dans l’expatriation, on apprend –enfin- à profiter de l’instant. Chaque endroit qu’on découvre, insolite ou banal, on le respire à pleins poumons et on se dit : « si on n’avait pas accepté cette aventure, on ne serait jamais venus là ! ».Et la moindre pierre du moindre château en ruine vient bâtir nos meilleurs souvenirs. J’espère sincèrement remporter avec nous cette capacité à vivre plus intensément notre propre vie.

Cependant, l’expérience est double : il y a le côté pile, et le côté face. Pile, on se sent libre. Face, on déploie une énergie folle pour rendre l’expérience viable. Et on ne voudrait pas s’épuiser. Parce que les enfants comptent sur nous : on vit au présent tous ensemble, mais c’est à nous, parents, de bâtir leur avenir. 

J’admire ton parcours et celui de tous ces parents qui sont parvenus à changer plusieurs fois de lieux de vie. J’imagine que quand c’est contractuel, qu’on n’a pas tant le choix, on ne se pose plus trop de questions, on « accepte » comme tu le dis et on fonce. Mais pour nous, changer implique de tout recommencer – travail, système scolaire… et je me demande quelles bornes le chemin doit avoir pour qu’on ne se perde pas dans l’aventure, pour que les enfants ne se sentent pas bringuebalés par des parents changeants, pour que le couple ne s’épuise pas, pour qu’à la fin, tous les changements fassent sens. Je me demande comment on fait et comment on ne se lasse pas de sans cesse tout recommencer - si vraiment on doit tout recommencer à chaque fois ? 


Nancy - Les multi-expatriations nous enseignent l’art de relativiser.

Je te rejoins quand tu dis que s’expatrier n’est pas la même chose avec ou sans enfant, que de nombreux questionnements supplémentaires font surface quand ce choix ne nous concerne pas exclusivement et qu’il s’impose à nos enfants. Je ne suis pas experte en la matière, mes enfants n’ont vécu que deux expatriations et sont encore jeunes. Toutefois, si au début tout cela m’inquiétait énormément, aujourd’hui j’essaie de bien plus relativiser… parce que tout est question de perspective. Qu’est-ce qui me garantit que mes enfants seraient plus épanouis si nous avions choisi une vie plus stable avec moins de changements ? Est-ce que ce n’est pas non plus imposer un choix que celui de rester toujours au même endroit ? Il est vrai que changer tous les trois ans de pays, d’école, d’amis c’est leur demander énormément de flexibilité et les mettre face à des défis importants ! Il est vrai aussi que je ne suis pas du tout d’accord avec cet adage qui dit « Les enfants de toute façon s’adaptent facilement… » : oui, ils s’adaptent, comme nous tous, mais cela n’enlève en rien le fait que ces changements sont difficiles et que ce n’est pas aussi simple que nous voulons bien le laisser croire. Ce qui marche pour moi, c’est de me dire qu’à chaque défi, mes enfants musclent un peu plus leur capacité de résilience et que ce qui compte le plus, c’est d’être des parents présents, à l’écoute et stables. C’est probablement la clé. D’un enfant à l’autre, l’expatriation et ses changements sont vécus différemment, et comme tu le dis, il y a le côté pile et le côté face…ce qui est le cas aussi, si nous choisissons une vie sans changement majeur. Je crois que les bornes dont tu parles, c’est ça ! Ce noyau familial fort…et probablement notre approche face à ces changements. Quelle que soit la nouvelle destination, s’attacher à souligner et se concentrer sur le positif…car d’expérience, chaque expatriation comporte son lot d'opportunités qui permettent de donner du sens à cette nouvelle expérience. 

A ta question de « Est-ce qu’on doit à chaque fois tout recommencer ?», je répondrais que oui, bien sûr, le nouveau cercle d’amis, une nouvelle école, un changement de système scolaire, de nouveaux repères à trouver, pour moi au niveau professionnel inscrire mon activité dans ce nouveau pays et bien d’autres choses encore…Ce qui est intéressant c’est que je ne le vois pas vraiment comme une approche de « tout recommencer », mais plutôt comme une suite, une nouvelle aventure, une nouvelle expérience. Après 13 ans d’expatriation, je me suis lassée de trop bouger. Nous sommes rentrés chez nous. Nous étions ravis de retrouver la stabilité, avons acheté une maison et nous pensions rester…puis, au bout de 5 ans le virus nous a piqué à nouveau, nous avions envie et besoin de…changement ! De nouvelles aventures, nouvelles découvertes. C’est ce que nous aimons, et c’est ce que nous transmettons à nos enfants. 

Ce qui semble toujours refaire surface, c’est qu’il y a non seulement autant de situations que d’expatriés, mais aussi autant de manières différentes d’appréhender son expatriation que d’expatriés. Nous avons tous des histoires, des envies, des besoins différents… et nos envies et besoins varient au fil des expatriations. Ce qui confirme qu’il n’y a pas de règle, pas de solution miracle. Pour moi les clés principales d’une expatriation réussie sont de pleinement dire oui à cette expérience ; de lui donner du sens et de toujours travailler à son propre épanouissement…comme on le ferait si nous étions restés chez nous. Et toi, qu’en penses-tu ? Quelles sont les clés pour une expatriation réussie ? 


Émilie - Une expatriation réussie c’est ce qu’on en fait, pour nous et nos enfants.

J’aime beaucoup ta façon de voir les choses : on sent la maturité de la « multi-expat » ! Les doutes occupent moins de place dans ton quotidien ! Il est vrai que lors d’une première expatriation, on se juge beaucoup, on se questionne sûrement plus que de raison ! On voudrait tant que tout fonctionne ! On voudrait tant ne pas se tromper, ne rien manquer, on voudrait tant que tout soit parfait pour nos enfants ! Toutefois j’apprends que si la première expatriation n’est peut-être pas la plus efficacement menée, elle a la saveur de la première fois : elle est cette énorme aventure qu’on vit ensemble, et qui nous soude ! Et si elle doit rester unique, il y aura la suite : le retour, la réinstallation … qui seront tout autant d’aventures à vivre ensemble et pleinement ! Une expatriation réussie, c’est une expatriation qu’on évalue, et toute la question porte sur les critères d’évaluation. Aux yeux de ceux qui ne sont pas partis, qui s’attendaient à nous voir rester plus longtemps, rentrer plus souvent, gagner plus d’argent, parler mieux la langue… notre expatriation ne sera peut-être pas si réussie ! Mais nous qui sommes partis savons bien que ce n’est pas tout cela qui compte. Au contraire : d’après moi, la réussite d’une expatriation ne se mesure pas. C’est un moment de notre vie, c’est un voyage qui bouscule la famille et nous construit. C’est la vie qui prend une autre saveur, c’est une perception du monde, du temps, de l’argent, de l’éducation… qui change. Une expatriation réussie, pour moi, ce sont des souvenirs qu’on gardera précieusement au fond de nous, qui diront pourquoi nous sommes devenus ceux que nous serons devenus dans ce pays qu’on aura essayé de rendre moins étranger. Tu as raison, il n’y a pas de règle, il n’y a pas un modèle d’expatriation, je le vois bien autour de moi : on n’a pas tous les mêmes buts, ni les mêmes moyens ! Finalement, je crois que c’est ce qu’on fait de notre expatriation, pour nous et nos enfants, qui en fait une « réussite ».

Merci pour ton temps et tes réponses rassurantes et encourageantes ! Tu n’es peut-être pas devenue Indiana Jones avec les multiples expatriations, mais c’est sans doute parce que le trésor n’est finalement nulle part ailleurs qu’en soi… et comme la pierre qui roule, il se polit avec les changements !


Nancy - L’expatriation comprend cet avantage : celui de nous questionner pour nous permettre d’avancer.

Merci à toi Émilie pour cette belle initiative et opportunité de répondre à tes questions. Cela m’a permis de faire un point, de réfléchir à tout ce que l’expatriation nous apporte, à nous et à nos enfants. Tes questions m’ont aussi aidée à avancer encore un peu. Et c’est probablement aussi l’une des clés de l’expatriation: pour pouvoir se dire que nous l’avons réussie, il est bon de régulièrement faire le bilan. Et le secret d’un bon bilan est probablement de transformer les difficultés en apprentissages et de partir à la recherche de ce qui a marché, ce qu’il y a de bon, ce qu’il y a de positif…. car en expatriation, comme dans la vie, c’est au fond ce qui fait la différence : notre manière d’appréhender ce qui nous arrive, notre manière de raconter notre histoire et si besoin, parfois de la réécrire pour nous aider à avancer. Je suis certaine que nos expatriations respectives auront eu cet impact incroyable que de nous pousser à nous questionner…et donc à avancer ! Quel cadeau pour soi et pour nos enfants !

Je te souhaite une très belle continuation (ainsi qu’à tous les expatriés qui nous lisent) : expatriés nous resterons toujours un peu dans notre cœur, que cette aventure continue ou s’arrête, je crois que cela ne change en rien le fait que nous le sommes pour toujours ! Des expats for ever !


Ecrit pour Expats Parents par :
Nancy Bonamy, Coach et blogueuse, Formations & Coaching
Son site : https://www.nancybonamy.com/
et Emilie Proustprofesseur de français.
Son blog :
 https://madeleineetcupoftea.com/