La soumission de façade : comment la détecter et comment s’en sortir ?

#enfant expatrié , #français , #psychologie

Nous avons parfois l’impression que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nos enfants, bien que parfois véhéments à la nouveauté, obéissent au doigt et à l’œil. Que ce soit pour nous suivre dans la folle aventure de l’expatriation, pour s’adapter à un nouvel environnement ou encore pour prendre des cours de français, ils sont pour le moins conciliants. Mais pourtant quelque chose nous dérange. Nous n’arrivons pas à mettre le doigt dessus, mais il nous semble que notre enfant est « trop » obéissant. Il se soumet facilement à tout ce que nous disons, sans prendre toujours la mesure de ce que nous leur demandons. Et nous souhaiterions qu’il soit plus lui-même mais nous sommes complètement impuissant. C’est ce que l’on appelle la soumission de façade. Comment la détecter ? Comment s’en sortir ? Comment faire en sorte que notre enfant trouve toute son autonomie ?


Qu’est-ce que cette soumission ?

Il y a quelques années, j’ai rencontré une famille pour le moins étonnante. Les enfants étaient grands et vivaient éparpillés de par le monde. La famille était multi-expatriée. J’avais abordé la maman pour savoir comment elle avait géré le maintien du français à la maison pendant toutes ses années. Elle avait imposé à sa progéniture pendant des années des cours à distance. « Un cauchemar ! Mais le résultat est là ! » En effet, les enfants s’expriment très bien en français et leur expression écrite est aussi très correcte. Mais ce qui m’a bouleversée dans l’histoire de cette famille a été la réaction des enfants que j’ai ensuite interrogés. Tous avaient été écœurés du français. À tel point qu’ils n’envisageaient pas de venir vivre en France, pays qu’ils aimaient par ailleurs grâce aux vacances en famille. Le point de vue de la mère m’avait pourtant montré pourtant quelque chose de tout autre : ça avait été dur pour les enfants, mais elle était persuadée de leur avoir donné l’amour de notre belle langue. Cette dissonance m’a mis la puce à l’oreille. Comment se fait-il que la mère, pourtant très impliquée dans l’apprentissage de ses enfants, ne se soit pas rendu compte du ressenti négatif de ses enfants ?

La réponse, je l’ai eue lors d’une de mes lectures sur le plaisir d’apprendre. C’est là que j’ai entendu pour la première fois parler de la notion de « soumission de façade ». L’enfant ici ne montre pas son désaccord mais n’en pense pas moins. Il va se cacher derrière cette « façade » pour avoir la paix, pour éviter le conflit, pour faire plaisir à ses parents. Mais il ne va pas prendre en compte son propre ressenti.

Dans notre cas, les enfants étaient allés jusqu’au bout. Parfois les enfants cumulent cette rancœur, se retiennent pendant longtemps de dire tout haut ce qu’ils pensent et soudain une colère éclate, venue - il nous semble - d’on ne sait où. « De toute façon, le français, c’est nul ! Et puis vous ne me comprenez pas ! ».

Les parents tombent des nues. Que s’est-il passé ?


La carte de fidélité et le cadeau-bonus

Connaissez-vous ces petites cartes de fidélité où, à chaque passage en caisse, on tamponne une case ? Et lorsque la carte est remplie vous gagnez un super cadeau ? C’est exactement le même principe ici ! Votre enfant collectionne sans vous le dire de la rancœur. Mais lorsqu’un certain point est atteint, c’est la cata ! Et ça se passe en général quand on s’y attend le moins et parfois sur quelque chose qui vous paraît n’être qu’un simple détail. Mais c’est bien le haut de l’iceberg qui cache en dessous du niveau de l’eau des raisons bien plus fiables, tangibles.


Pourquoi ce processus ?

Souvent l’enfant, s’il suit, s’il se conforme, s’il s’adapte, c’est surtout pour ne pas risquer de rentrer en conflit. La peur de ne pas être d’accord, de se trouver confronter à ses parents, de s’opposer liée souvent à la peur de l’abandon est parfois plus forte que l’envie réelle de faire telle ou telle chose. Or ce moment désagréable où ils s’opposent est pourtant salvateur ! Il leur permet de s’affirmer. Il permet de montrer qu’ils pensent par eux-même. Il permet d’ouvrir un dialogue qui sinon ne se fait que dans un sens, celui qui part des parents vers l’enfant. C’est donc un moyen de protection pour l’enfant.


Les dangers de cette soumission de façade

Le problème majeur de cette soumission est que les enfants ne font qu’obéir et ne construisent pas leur propre conviction et de ce fait, ils ne s’impliquent pas complètement. A force de faire les choses « pour faire plaisir à papa-maman » ils en oublient de les faire pour eux-mêmes, pour les bienfaits que cela va apporter. Donnant des cours de français avec de jeunes enfants, j’ai souvent ce genre de questions, lorsque ça coince : « au fait, pourquoi veux-tu continuer à apprendre le français ? » La réponse parce que mes parents le veulent est fréquente. Celle, plus légitime, de garder le contact avec des amis ou de la famille en France, ou encore celle de vouloir être bilingue et de ne pas perdre cette langue qu’ils maîtrisent déjà en partie, est beaucoup plus rare. Pourtant ce sont les enfants qui ont cette motivation intrinsèque (c’est-à-dire qui vient d’eux-mêmes) qui ont souvent le plus de facilités d’apprentissage. Ce sont eux aussi qui développent le plus souvent un esprit critique et une pensée libre. Ce sont eux enfin qui ont le plus confiance en eux, ne cherchant pas à tout prix l’accord ou la validation de leurs parents.


Comment se sortir de cette impasse ?

Si cette position est relativement confortable pour nous parents (qui n’a pas rêvé d’avoir un enfant obéissant ?), les dangers sous-jacents font qu’il faut réagir et vite ! Cela prend du temps de faire en sorte que notre enfant retrouve sa propre manière de pensée et ose partager avec vous ses réflexions.

Quelques pistes à essayer :

- Être à l’écoute de son enfant pour qu’il ne « collectionne » pas cette rancœur et qu’il « détimbre » au fur et à mesure. Prendre les conflits les uns après les autres avant qu’ils ne se transforment en quelque chose d’incontrôlables et de blessants.

- Impliquer l’enfant dans les décisions familiales qui le concernent : maintenir le français à la maison nous semble, à nous parents, une nécessité. Et si nous laissions notre enfant dire son mot sur la manière dont il souhaite aborder ce problème en lui proposant, par exemple, plusieurs méthodes possibles ?

- Respecter ses choix : rien de pire que d’écouter son enfant et finalement décider autre chose pour lui ! Il se sentira trahi, sa voix n’ayant finalement aucune valeur.

- Éviter de valider tout ce qu’il fait. Les enfants peu sûrs d’eux cherchent à bien faire à tout prix et à avoir l’aval de leurs parents. De ce fait, ils n’arrivent pas à créer par eux-mêmes le sentiment de satisfaction d’un travail écrit en français par exemple. Pourquoi ne pas plutôt leur demander ce qu’il en pense, lui, avant de donner son propre avis ?


La soumission de façade est donc un moyen de protection de notre enfant. Elle montre surtout sa vulnérabilité. Dans le cadre de l’expatriation, où nous souhaiterions tout contrôler, où nous souhaiterions protéger notre enfant, elle s’immisce plus facilement dans la vie de tous les jours. Donner à son enfant la place dont il a besoin, lui offrir l’attention nécessaire pour son épanouissement et accorder du crédit et de la valeur à son opinion permet de désamorcer la bombe qui ne manquera pas, le cas échéant, d’exploser à un moment ou à un autre. Cela l’incite à plus d’autonomie. Cela permet surtout de créer une ambiance familiale sereine et respectueuse de chacun. Quelque chose qui ressemble au bonheur.



Ecrit pour Expats Parents par Catherine Allibert, Écrivain et accompagnatrice des enfants expatriés dans le monde de la langue française. Elle propose des services autour de l’apprentissage du français tout en améliorant la relation parents-enfants.
Son site : http://www.unehistoiredeninjasetdesamourais.com « Apprendre le français avec la souplesse du ninja et la rigueur du samouraï ! »
Elle anime aussi le groupe Facebook « Français à la maison : partage soutien et conseils » 
Retrouvez aussi son émission hebdomadaire « Le français comme j’aime » en podcast 

Du même auteur :
"Petit guide des ressources pour l’apprentissage du français, à destination des enfants expatriés"
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"Comment préparer son enfant de moins de 5 ans à la grande aventure de l’expatriation ?"