Les" dérives" du parent expatrié

#expatriation , #parentalité , #famille , #psychologie

L'expatriation modifie notre façon d'éduquer nos enfants . 
Dans son livre 'Les enfants expatriés, enfants de la Troisième Culture", Cécile Gylbert consacre un chapitre aux "dérives" susceptibles d'être engendrées par l'expatriation. Il m'a semblé intéressant de vous les partager , ne serait-ce que pour en prendre conscience ...


1. Trop d’attentes

Toutes les études sur le sujet montrent que la majorité des enfants expatriés ou des ETC ont un meilleur niveau académique que leurs camarades sédentaires. Cela signifie-t-il que les écoles à l’étranger, qu’elles soient locales, françaises ou internationales ont un meilleur cursus ? Que leurs professeurs soient plus qualifiés ? Ou encore que les programmes soient plus denses ? Certainement pas. Chaque école, dans chaque pays et selon chaque système scolaire, a ses atouts et ses faiblesses. Ce qui est certain en revanche est que les parents expatriés ont beaucoup d’attentes académiques concernant leurs enfants. Ils les emmènent vivre à l’autre bout du monde mais sont rarement prêts à sacrifier une année d’études. Les résultats scolaires sont souvent suivis de façon hebdomadaire (voire quotidienne) et les expectatives sont élevées. Que ce soit pour se convaincre du bien-fondé de leur choix de système scolaire, que ce soit pour se prouver que leurs enfants s’adaptent ou que ce soit par comparaison avec d’autres enfants restés dans le pays d’origine, de nombreux parents expatriés mettent la barre très haut au regard des résultats scolaires de leur enfant. Si cette attente élevée peut stimuler une scolarité, elle vient toutefois ajouter une pression supplémentaire, notamment la première année, à des enfants qui gèrent déjà une adaptation à leur nouvelle vie. Dans le pire des cas, ces attentes excessives peuvent générer un refus de socialisation ou d’implication dans la nouvelle école.
Par ailleurs, beaucoup de parents expatriés voient dans l’expatriation de leur famille l’opportunité d’une ouverture d’esprit, d’un élargissement de culture générale, d’une immersion dans une langue étrangère… Tous les aspects bénéfiques de l’expatriation sont alors mis en régulièrement exergue lors de discussions familiales. Si cette attitude permet de positiver, son exagération peut avoir des conséquences douloureuses car les parents sont alors impatients de voir rapidement l’impact de ces effets positifs sur leurs enfants. Les attentes en matière d’adaptation ou de progrès linguistiques sont suivies à la loupe et peuvent venir entraver un processus qui demande du temps et de la patience.

 

2. Sur-implication

Lors de l’expatriation d’une famille, il n’est pas rare que l’un des conjoints soit l’expatrié et que l’autre doive quitter son travail pour l’accompagner. Si les conditions financières sont suffisamment favorables, le conjoint n’est pas obligé de retrouver un travail. Par ailleurs, dans certains pays, il est courant d’avoir de l’aide à la maison. Dans ce contexte, le conjoint « qui suit » va alors pouvoir consacrer beaucoup de temps à sa famille. Pour de nombreux parents cela est vu comme l’opportunité, parfois pour la première fois, de s’impliquer dans la vie quotidienne des enfants. Et ça en est une ! Cette parenthèse permet de nouer des relations fortes dans le contexte exigeant de l’adaptation. Cela permet également d’accompagner la transition. Le danger se profile lorsque le parent devient ce que Robin Pascoe appelle le « parent hélicoptère » et que je nommerais volontiers « maman (ou papa) Big Brother ». Il voit tout, entend tout, veut tout savoir de ses enfants. Cette surimplication va du suivi du carnet scolaire au jour le jour au choix et à l’organisation de toutes les activités extrascolaires et sociales. Les parents sont prêts à contacter le professeur d’anglais à la première mauvaise note (même si l’enfant est en seconde), téléphonent à d’autres parents à la première bagarre de recréation et refusent le départ en voyage scolaire s’ils ne peuvent pas accompagner. Autant la présence d’un parent est rassurante pour l’enfant, autant la surimplication le prive de ses ressources propres. Or, l’enfant expatrié doit aller au bout de lui-même pour s’adapter, s’intégrer et accepter le changement. C’est une démarche personnelle. Être un parent responsable et guider son enfant dans son cheminement ne signifie pas s’approprier ce cheminement. On ne peut pas s’adapter à la place d’un autre, on ne peut pas étudier pour un autre, on ne peut pas se faire des amis pour un autre…
Si cette forme d’éducation existe dans toutes les sociétés contemporaines, obsédées par la perfection et la compétition, elle est particulièrement visible chez les communautés d’expatriés. Le temps libre de l’un des deux conjoints comme l’aisance financière encouragent les parents à passer de parents bienveillants à des parents surimpliqués et surprotecteurs. Avec un effet bien différent de l’effet escompté ! N’hésitez donc pas à déléguer au lieu d’endosser tous les rôles (les cours de français, les thérapies de langage, le soutien scolaire…) et à donner de l’autonomie à vos enfants.

 

3. Surprotection

Nous avons vu précédemment que les ETC ont souvent du mal à prendre des décisions long-terme ou tout simplement à s’impliquer dans une prise de décision. C’est une conséquence naturelle de leur expérience de vie et de leur adhésion à la Troisième Culture. Cette attitude est encore plus marquée dans le cas d’une enfance supervisée par des parents ultra-protecteurs. Certes, la vie dans tous les pays ne se ressemble pas et l’on ne laisse pas aussi facilement prendre les transports publics à son adolescent à San Paolo et à Berlin. Les problèmes de sécurité dans certains pays demandent une vigilance constante lors des déplacements et lors de la vie quotidienne. Toutefois, la surprotection empêche les enfants de connaitre et d’assumer les conséquences de leur comportement. Ils se reposent sur leurs parents et perdent en indépendance et en autonomie. La prise de décision leur est alors complètement étrangère et ils s’en remettent entièrement aux adultes de leur entourage. L’adolescence est souvent retardée chez les Enfants de la Troisième Culture et cette surprotection est un facteur de plus qui la génère. Lâchez du lest dans la mesure du possible ! Laissez-leur prendre des décisions et les assumer.

 

4. Transfert de ses propres peurs, angoisses, chagrins et colères

Que l’on soit dans une situation de surimplication ou de surprotection des parents (les deux vont souvent de pair), il s’agit dans tous les cas d’une forme de transfert de leurs propres peurs et de leurs propres attentes. Pour les adultes aussi, l’expatriation est un défi. Il y a des jours avec et des jours sans, il y a des attentes frustrées et des angoisses récurrentes, il y a parfois la solitude ou le désoeuvrement.
L’adaptation culturelle est un challenge, l’intégration dans un nouvel environnement social ou professionnel demande beaucoup d’énergie et de volonté. Pour le conjoint qui ne travaille pas, la situation est parfois complexe. Les inquiétudes deviennent facilement des angoisses. Le transfert de ses émotions sur les enfants est souvent inévitable. Prendre soin de soi, de son adaptation personnelle, est la meilleure façon d’aider le reste de la famille. Des parents heureux et optimistes sont un trésor pour les ETC. Ils leur rendent la sécurité qu’ils ont tendance à perdre lors de leurs déménagements successifs.

 

5. Matérialisme

Bien que ce ne soit pas toujours le cas, la vie expatriée peut se dérouler dans un grand confort matériel. Belle résidence, employés de maison, club de sport et de loisir, écoles élitistes sont quelques uns des éléments qui constituent la vie des expatriés les plus privilégiés. En expatriation, comme en vie sédentaire, il est normal de s’intégrer à un groupe qui nous ressemble, l’enfant vit alors selon un mode de vie privilégié, dans un monde doré et peut perdre ses repères. Un ETC qui aura vécu ainsi toute son enfance sera désorienté lorsque tout cela s’arrêtera, lors du retour dans le pays d’origine par exemple. On l’a vu précédemment, parmi les pertes importantes qui jalonnent la vie des ETC, la perte de statut social comme la perte de privilèges déstabilisent sensiblement l’individu. Si, en tant que parents, on souhaite bénéficier de ces avantages de l’expatriation (ce qui est compréhensible), il est important de faire comprendre à ses enfants combien ces privilèges sont liés à la situation d’expatriés, sont temporaires et en quoi ils diffèrent de la « vie normale ». L’expatriation peut facilement être une bulle dont il est difficile de sortir.

 

6. Dénigrement

Tous les parents s’accordent sur le fait que l’un des atouts de l’expatriation est l’ouverture d’esprit qu’elle procure. Cela dit, la question est de savoir combien de parents s’ouvrent réellement à la culture du pays d’accueil dans la tolérance et le respect. Une fois passée la phase de choc culturel, pendant laquelle il est normal de rejeter la culture qui nous accueille, on entend encore trop de parents continuer de dénigrer la population locale lors de conversations, soit entre adultes, soit avec leurs enfants. Or, on ne peut avoir une approche théorique et une approche pratique de l’ouverture d’esprit. Si l’on a choisi d’emmener nos enfants vivre à l’autre bout du monde et si l’on attend d’eux qu’ils soient « open minded », il est absolument incohérent d’avoir soi-même une attitude négative envers le pays d’accueil. C’est à la fois renier son choix (qui, je le rappelle est celui des parents) et tomber dans une attitude opposée à celle que l’on souhaiterait voir se développer chez nos enfants. Certes, aucun pays n’est parfait et chaque culture a ses défauts, il ne s’agit donc pas non plus de tout valoriser ou de tout idéaliser dans le pays d’accueil. Un regard bienveillant et réaliste reste la meilleure façon d’aider nos enfants à acquérir cette ouverture d’esprit et cette tolérance qui nous tient à coeur.
Le dénigrement ne se fait pas toujours envers le pays d’accueil. Pour beaucoup d’expatriés, critiquer son propre pays est un passe temps. Certes, le fait d’avoir du recul permet de voir avec perspective ce que l’on ne voit pas forcement lorsque l’on y vit. Pourtant, la critique systématique de leur pays par leurs parents ou leur entourage désarçonne les ETC qui ont déjà beaucoup de mal à s’approprier leur culture d’origine. À nouveau, il s’agit d’être vigilant et de rester positif et constructif sans tomber dans le dénigrement récurrent.

 

7. Sentiment de culpabilité

L’expatriation pour beaucoup de familles est vécue comme une opportunité, une aventure excitante et positive. Toutefois lorsque les enfants trainent les pieds pour partir ou qu’ils n’arrivent pas à s’adapter rapidement, lorsque la famille élargie ne comprend pas le choix, la culpabilité peut alors s’installer chez les parents. Avons-nous bien fait de choisir cette option ? Allons-nous réellement les déraciner de leur culture ? Sont-ils heureux dans leur nouvelle vie ?
Les ETC ne sont jamais décideurs dans ces changements de vie. Ils les acceptent ou les subissent mais ne choisissent pas de changer de pays et de quitter leur environnement. Leur sentiment de stabilité et de sécurité intérieure est alors mis à mal si les parents eux-mêmes doutent de leur choix ou culpabilisent. Pour que ces pérégrinations soient une expérience de vie et de développement enrichissante, elle doit être clairement exprimée par les décideurs. Plutôt que de culpabiliser, il est recommandé de trouver les outils nécessaires pour faire face ensemble, en famille, aux défis de l’adaptation. Des parents sûrs de leur choix et qui ne se sentent pas coupables guideront mieux leurs enfants dans les méandres de l’adaptation.


Extrait du livre de Cécile Gylbert : "Les enfants expatriés, enfants de la Troisième Culture", avec accord de l'auteur.
Site pro : 
http://www.geo-interculturel.com/fr/
Co-fondatrice d'Expat Pro, le réseau des Experts pour les Expats.

Du même auteur :  
"Etre parent d'un enfant de la Troisième Culture"
"Ensemble, c'est tout !"
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Sur une thématique voisine :
De Coralie Garnier :
"Pourquoi l'expatriation modifie notre façon d'éduquer nos enfants"
De Marion Saintgery :
" Quand l'expatriation met à mal la fonction parentale"