L’adaptation en expatriation : la famille, entre rupture et transmission

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Les circonstances de l’expatriation, de l’équilibre psychologique, du contexte social et d’autres facteurs peuvent influencer notre seuil de tolérance au stress et au confort. Nous pouvons alors imaginer que, plus ce seuil de tolérance est bas, moins il est facile de s’adapter à son nouvel environnement. L’adaptation à une nouvelle culture demande en effet une énergie considérable ! L’expatriation est en soi un événement stressant car elle est caractérisée par une série d’événements particulièrement significatifs dans un laps de temps plutôt bref. L’expatriation est souvent vécue comme une rupture où nous même et notre famille sommes amenés à nous réorganiser alors que nous fonctionnions jusqu’alors de manière stable pour la plupart. Nous allons faire un rapide tour d’horizon de quelques facteurs de stress que génère l’expatriation pour et au sein de la famille, mais nous allons aussi mettre en avant les facteurs de stabilité générés par la famille et sur lesquels chacun de ses membres peuvent s’appuyer pour faire face aux changements induits par le changement d’environnement.

La carrière - Dès lors que le couple accepte l’expatriation, la vie familiale change, avant même de s’installer à l’étranger. L’une des premières conséquences souvent rapporté par les études et les enquêtes concerne le projet professionnel du conjoint (la grande majorité des expatriés est mariée avec des enfants), qui souvent recevra un visa sans autorisation de travail. Cela signifie non seulement que l’on renonce à l’un des salaires, mais surtout le changement radical de style de vie d’un des membres du couple, ce qui pourra entraîner des conséquences parfois graves et imprévisibles, pour le couple et pour l’équilibre familial. La plupart des entreprises expatriatrices négligent complètement cette question, qu’elles considèrent comme une question d’ordre privé et c’est la famille qui devra gérer cette question fondamentale et source importante de stress.

L’installation - S’installer dans la nouvelle maison est le deuxième facteur qui pèse en faveur d’une adaptation plus rapide ou plus longue. Parfois, par manque d’information et de temps, les familles expatriées finissent par se décider à toute vitesse, demeurant insatisfaits, sans se rendre compte qu’un logement mal choisi a plusieurs implications à l’avenir, en particulier dans des pays comme la France, par exemple, où les places dans les établissements scolaires sont attribuées suivant le quartier de résidence. Il s’agit donc d’un problème qui peut avoir un effet domino. Il n’est pas rare non plus que l’expatrié professionnel soit immédiatement impliqué dans les activités de l’entreprise et que le temps lui manque pour assister son conjoint dans l’organisation du nouveau foyer. Plus cette installation est longue, plus elle se transforme en une source importante d’instabilité, de plaintes, de désorganisation et de troubles familiaux et conjugaux. La vie familiale se trouve bouleversée et c’est durant cette période « chaotique » que peuvent apparaitre les désistements, les troubles au sein du couple, les maladies psychosomatiques des enfants et une plus grande attente morale de l’expatrié envers sa famille. Un certain niveau de stress est inévitable, mais les études mentionnées nous montrent combien ce stress est souvent disproportionné, long et inutile.

La scolarité - Un autre point également important pouvant engendrer l’instabilité et la vulnérabilité ressenties par une famille relève de la formation scolaire et du parcours scolaire des enfants. Sans connaître le pays, la culture, trop souvent sans parler la langue, les informations sur le système éducationnel du pays de destination sont en général insuffisantes, ce qui peut apporter bon nombre de questions mais aussi des surprises désagréables et déstabilisantes pour la famille. La question de la scolarité des enfants est tellement importante pour la famille qu’elle est souvent à l’origine de la décision même de s’expatrier chez les couples. La question de la scolarité ne pourrait pas apparaître comme un élément de risque en raison d’un manque d’informations et de négligences car la question se pose finalement en amont de l’expatriation. Mais quand les familles n’ont pas le choix, cette question peut être peut être véritablement génératrice de stress au sein de la famille.

L’éducation des enfants - Ce facteur peut être responsable de l’affaiblissement de nos ressources psychologique et générer du stress. Les parents expatriés ne peuvent pas toujours compter sur un contexte social et culturel du pays d’accueil qui légitime et qui aide à donner un sens à ses propres repères, ses propres ressentis et ses propres actes. Nous pouvons penser que la transmission des valeurs, des croyances, des rituels, des habitudes et ainsi de suite, est une tâche qui n’appartient pas uniquement au système intrafamilial. Le système social plus élargi (école, activités périscolaires, relations sociales …) joue un rôle essentiel dans un tel processus, rôle qui, dans un certain sens, décharge la famille d’une responsabilité qui est partagée par la communauté. En revanche, les parents qui ont fait l’expérience de l’expatriation ne peuvent pas toujours s’appuyer sur une reconnaissance sociale de certaines pratiques éducatives considérées comme normales au sein de la famille. Alors, pour eux, rien ne va de soi et tout doit et peut être mis en question. À ce sujet, la génération des enfants expatriés interroge parfois les parents, plus souvent à travers des actes qu’à travers des mots. Nous entendons souvent les parents se poser les questions suivantes : "Qu’est-ce que je peux m’autoriser à transmettre ?", "Qu’est-ce que je dois m’interdire de transmettre ?", "Qu’est-ce qui sera autorisé dans ma transmission ?". Toutes ces questions nous laissent entendre le lien étroit entre parentalité et contexte social d’appartenance.

La famille comme un réseau - Mais souvent la présence d’enfants semble être aussi un excellent moyen d’intégration et de création de liens sociaux dont les parents peuvent bénéficier. En ce sens il est aussi vecteur d’adaptation et se présente comme un facteur de stabilité. Des collaborations sont également possibles entre les familles expatriées et les institutions sociales : c’est le cas de l’école par exemple. Il existe aussi des relations entre les espaces de transitions comme les associations qui font le pont entre les familles expatriées et les institutions sociales parfois. Les enfants sont en effet un excellent moyen d’apprentissage pour les parents leurs permettant d’avoir des contacts à l’extérieur du foyer, surtout à l’arrivée dans le pays d’accueil. Il est important de construire un nouveau tissu de relations interpersonnelles à chaque expatriation et le fait de garder des contacts trop prolongés ou intenses avec les réseaux sociaux du pays d’origine ou d’accueil antérieur aurait un impact négatif sur l’adaptation des membres de la famille. En ce sens la présence d’enfants et l’engagement social des membres de la famille est véritablement vecteur de stabilité et d’adaptation.

La famille à distance - Le développement des nouvelles technologies par l'Internet, comme Skype, les cartes téléphoniques, les téléphones mobiles, etc. permet une communication régulière à distance jouant un rôle important dans la structuration des réseaux de familles expatriées. Nous, expatriés, sommes ainsi constamment présents dans les vies de nos proches restés parfois en France. Même par une présence virtuelle, nos proches sont par conséquent en position d’apporter une proximité presque culturelle. Ainsi, leur absence peut être compensée par des modes de communication directs et instantanés qui leur permettent de prendre part à distance à nos vies. Ils peuvent non seulement donner et recevoir des informations, mais aussi être impliqués dans la prise de décisions sur toutes sortes de questions concernant les personnes significatives pour eux comme pour nous. L'accès ou la démocratisation des voyages, grâce aux compagnies à bas prix, jouent également un rôle important dans le maintien et le développement des réseaux transnationaux[1] d’expatriés, en facilitant une reprise directe des contacts relativement constante. Ces réseaux permettent alors la préservation d'une continuité des liens tout en donnant la possibilité de l’ouverture à de nouvelles relations de part et d’autre des frontières. Ils permettent des moments de renforcement des liens ou de distension de ceux-ci, selon les circonstances, les contextes et les parcours de vie des personnes qui les composent. Dans tous les cas, cette proximité avec les proches distants géographiquement est véritablement vectrice de confort et de réassurance pour les familles d’expatriés.

Espace d’organisation - Bien que malmenée par la rupture liée à l’expatriation, la famille reste le groupe refuge d’une culture et d’une identité. Elle constitue un espace privilégié dans lequel tout être humain forge une vision du monde. C’est une entité rassurante qui permet le partage de l’expérience lors d’une expatriation, qui apparaît comme un espace de soutien ou de conflits mais dans tous les cas, comme un espace important de vécu. La famille comporte une dimension de pérennité absolue, temporisant l’expérience dans la dimension de découverte et d’inconnu (parfois radical). Lorsque nous sommes accompagnés de notre famille, nous conservons avec nous, dans notre vie quotidienne, une part de connu. La vie de famille est encline à conserver un certain nombre de comportements structurant, à travers des règles et des habitudes ou des attentions particulières des membres de la famille à l’égard des autres et cela, malgré le changement d’environnement et de culture. Un individu seul pourra plus bien plus facilement bouleverser ses habitudes qu’une famille. C’est une structure de vie et de repères, qui agissent comme garants de la stabilité nécessaire pour faire face à des bouleversements. Dans cette dimension, la famille, de par sa nature même, est un véritable amortisseur des chocs liés à l’expatriation.


Article écrit pour Expats Parents par Julie Buguet, Docteur en psychologie

LIre aussi,, du même auteur : "Comprendre les grandes phases de l'adaptation en expatriation"

[1] C’est C. Bolzman et M. Vatz Laaroussi (2010) qui imaginent les familles et les liens familiaux entretenus par les familles expatriées comme des réseaux familiaux transnationaux. Ces réseaux seraient les premiers porteurs et soutiens lors de la mobilité originelle, celle qui amène à quitter son pays et sa région d’origine pour tenter l’aventure de vivre ailleurs, ils sont aussi ceux qui vont permettre soit la sédentarisation des familles expatriées dans leur nouveau lieu de vie s’ils arrivent à s’y sentir reconnus et légitimes et s’ils ont la possibilité d’y rester.